Module INSEP des 7, 8 et 9 février 2012
« le champion, la technique et l’entraîneur »
Compte rendu de Jean-Pierre Muguet
Les quelques réflexions qui suivent sont celles d’un « observateur participant » invité par les animateurs sur la base de séquences de formation communes récentes partagées avec R. Catteau. Officiellement (administrativement) désigné comme « expert » je me dois de préciser, d’autant que l’expertise, si elle existe, ne résidait pas dans la maîtrise des deux APS du stage. Je peux faire état d’une certaine expertise comme sportif (basket), comme professeur d’EPS, comme formateur de formateur (CREPS puis UFRSTAPS) ; quelques travaux de recherches m’ont conduit par ailleurs à approfondir l’observation en différé d’actions en basket (de joueurs et/ou d’enseignants).
- Ces réflexions prolongent le compte rendu de Marc Begotti qui se termine ainsi : « Passer de la pédagogie traditionnelle à la pédagogie de l’action ne se décrète pas mais se construit, nous avons voulu initier ce processus de construction durant ces trois jours à l’INSEP ».
Ce qui suit tente de donner un aperçu de ce processus et de fournir un point de vue « extérieur ».
- Le compte rendu s’appuie sur des données tirées :
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de l’observation en direct des séances pratiques
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des échanges formels et informels qui ont suivi ces séquences
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de notes personnelles
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d’observations en différé d’extraits vidéo des séances (NB. prises de vues personnelles d’une partie seulement de ces séances)
- Problème théorique : aborder une pédagogie de l’action suppose de clarifier ce qu’on met derrière le mot « action ». Il n’est pas possible ici de présenter un cadre théorique complet car « quelle que soit l'entrée disciplinaire, les tentatives de définition de l'action », soulignent la complexité des paramètres qui sont nécessaires pour la décrire, l'expliquer, la comprendre" (JM. Barbier, Y. Clot, F. Dubet. [et al.], 2000).
Pour ce compte rendu je retiendrai à minima :
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la nécessité qu’il y a, pour analyser et comprendre les déterminants de l’action, à prendre en compte le sujet etle contexte. La plupart des auteurs s’accordent sur la nécessité de s’intéresser à l’influence réciproque de l’un et de l’autre (M Durand : « Si le contexte l'environnement, influencent l’action, les caractéristiques propres au sujet influencent aussi son déroulement »).
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Concernant le sujet la nécessité qu’il y a à prendre en compte les mouvements (et leurs composantes), mais aussi l’intention et le résultat (le but) comme autant d’autres éléments déterminants (Piaget : « Les praxies ou actions ne sont pas des mouvements quelconques mais des systèmes de mouvements coordonnés en fonction d’un résultat ou d’une intention »).
Les séances pratiques ont fourni des occasions d’illustrer l’intérêt de ces distinctions basiques pour mieux évaluer les séquences pédagogiques vécues et, partant, envisager des modifications dans sa manière de faire comme entraîneur.
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Illustration s’agissant de l’influence du contexte :
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Faits retenus.
En natation un exercice où il était demandé de réaliser une action de « coulée » à partir d’une poussée contre le mur - l’objectif étant d’aller le plus loin possible sous l’eau - a donné lieu à deux comportements différents : telles tentaient, sans plus, de faire la plus belle coulée possible, pendant que deux autres rivalisaient : lequel ira le plus loin? Ceci n’était pas demandé par l’entraîneur préoccupé, lui, par la recherche d’une qualité dans l’organisation corporelle propice à la construction d’un « corps projectile » (alignement bras à l’horizontale dans le prolongement du tronc, tête sous les bras, etc.)
On a pu voir des faits semblables en tir à l’arc. Alors que les consignes de l’entraîneur invitaient les pratiquants à se concentrer sur tel ou tel aspect de leurs mouvements d’armer, un des stagiaires avouait après coup avoir cherché à faire mieux (en terme de score) que ses voisins ou du moins craindre un résultat moindre et avoir été « perturbé » par cette pensée.
Que ce soit en natation ou en tir à l’arc, dans les deux cas les réponses étaient, au dire des participants, influencées par ces attitudes (plutôt en terme de perturbation, semble-t-il ….à affiner).
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Commentaires.
Il s’agit d’un angle d’attaque parmi d’autres possibles d’une pédagogie de l’action concernant deux éléments de contexte à savoir le nombre et la qualité des pratiquants (auquel on pourrait ajouter la particularité du contexte institutionnel : séances pratiques originales dans un stage de Formation Permanente d’entraineurs volontaires à l’INSEP).
Pour l’entraîneur on voit l’intérêt qu’il y a à anticiper et de prendre une décision : laisser faire ou freiner telle ou telle initiative induite par le type de pratiquants suivant qu’il la considère ou non pertinente.
La question simple à qui ai-je à faire ? ne doit pas être négligée (ex. ici on a à faire à des sportifs aguerris qui aiment la confrontation, et qui sont aussi des professionnels …. éventuellement rivaux !)
Il convient de considérer que chaque contexte est particulier. Ce sont deux stagiaires hommes qui ont choisi de rivaliser. Est-ce à dire que le sexe des participants permet d’anticiper ? Rien n’est moins sûr évidemment. Supposons un autre stage avec le même nombre de stagiaire nageurs et archers, le même rapport hommes femmes et c’est un autre contexte, pouvant déboucher sur des comportements différents. On voit tout le parti que l’on peut tirer d’être au moins vigilant sur ces points.
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Illustration s’agissant de l’activité du sujet. Tir à l’arc : le cas de Nicolas.
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Faits retenus.
Première séance. Après la présentation du matériel les pratiquants sont invités à décocher une volée de flèches (4) dans la paille (Carré d’ # 2 X 2m.) à moins de 10m. L’animatrice transmet les premières consignes sur la manière de tenir l’arc, de poser la flèche de tendre la corde. Elle ajoute des consignes sur le placement des mains, des épaules, la tension des bras, l’ouverture du tronc, etc. Les pratiquants s’exécutent ensemble chacun avec ses flèches ; ils sont debout à cheval sur la ligne de tir. A la distance choisie impossible de manquer le plastron. Tout le monde tire sa volée. Résultat : les premiers impacts des flèches tendent à être dispersés, les angles d’arrivée sont divers (fig. 1). D’emblée Nicolas se démarque : Il ne tire pas dans le carré central comme tout le monde ; il a choisi de tirer dans la partie droite du plastron qui est à angle droit par rapport à sa positon sur la ligne de tir. Ses flèches sont remarquablement groupées et « parallèles ». Lorsque l’animateur invite chacun à prendre pour cible un des 9 carrés constituant le plastron de paille Nicolas confirme sa première prestation en tirant dans le carré central de la bande droite (fig. 2).
Etonnements admiratifs ; Nicolas est-il un surdoué ? En traçant un cercle imaginaire autour de son paquet de flèches ont aurait à peu de chose près dessiné le rond central d’une cible officielle. Mais il n’y avait pas de cible officielle. Il était facile de vérifier. Or, lorsqu’on a rajoutée une cible Nicolas n’a pas été particulièrement performant et ses flèches n’étaient plus groupées (fig. 3). La vidéo montre que ce n’est pas seulement le résultat mais aussi son comportement qui sont affectés (à la très forte concentration des premiers essais fait place une attitude plus décontractée, avec échanges verbaux entre deux flèches, etc.) ; son bras porteur s’est bizarrement mis à trembler… avouera-t-il.
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Commentaires.
Cet exemple met en évidence l’importance du but et de l’intention dans la recherche d’une organisation corporelle. Pour l’entraineur le but était d’aider à produire des formes de mouvements « conformes » à certaines normes censées favoriser bien sûr l’efficacité. On est dans une pédagogie classique du mouvement.
Nicolas, selon ses dire, ne voulait pas écouter ces consignes (et cela est confirmée sur les images vidéos par son attitude : pendant le discours de l’entraîneur il semble « ailleurs », regard dans le vide; il paraît très concentré). Il dira s’être donné un but constitué par la première flèche tirée droit devant lui. Lors des flèches suivantes son intention était de reproduire des mouvements (postures, sensations) identiques à ceux du premier tir. Mais sa réussite remarquable peut-être un leurre s’il s’agit de devenir un bon tireur à l’arc. Nicolas avait choisi de s’organiser par rapport à un but qu’il s’était donné (sa première flèche). L’exemple montre bien que tout autre est la confrontation avec une cible extérieure placée a priori. C’est pourtant la définition même du tir à l’arc (la cible est imposée). D’une certaine manière Nicolas « n’était pas » dans l’activité tir à l’arc.
On retiendra
1- Qu’entrer dans la pédagogie de l’action c’est considérer la relation qui s’opère entre son action d’intervenant (ici entraîneur) avec ses intentions son résultat recherché et celle des pratiquants (tous et chacun) avec leurs intentions et leur résultats recherchés. Quelle adéquation ou discordance entre les deux ?
2- l’intérêt (premier ?) qu’il ya à prendre en compte le but et l’intention du sujet qui sont indissociables générateurs à eux seuls de mouvements cohérents voire « impressionnants ». A condition que cela se déroule dans un contexte qui préserve ce qui fait la « logique » de l’activité sportive concernée. Dans cet exemple on peut concevoir d’autres prolongements possibles, qui obligeraient à entrer plus loin dans la complexité de l’action (Quels rapport entre les mouvements de Nicolas et le résultat dans l’un et l’autre cas ? Que faire de ses premiers essais « positifs » ? Sur quelle(s) composante(s) des mouvements agir prioritairement? etc.). Sortir d’une pédagogie exclusive des mouvements ne consiste pas à négliger les mouvements au profit d’une pédagogie de l’intention et du but - erreur classique - mais de penser l’articulation avec l’intention et le but et entre telle(s) ou telle(s) composante(s).
Conclusion
Par delà la spécificité de la natation et du tir à l’arc les premières séquences entre les nageurs et les archers auront permis de mettre en évidence des pratiques et des discours relevant plutôt de la première conception pédagogique rappelée par Marc Bégotti (avec des nuances d’un entraîneur à l’autre qu’on pourrait affiner sans que soit remise en cause cette tendance lourde du groupe). Mais sont apparues très vite aussi chez les stagiaires l’expression d’insatisfactions et le désir de dépasser les pratiques habituelles d’entraînement (motivation à l’origine, probablement, de l’inscription au stage). Ceci peut être considéré comme un premier niveau d’échange (un pré-requis ?) fructueux entre les représentants des deux communautés.
Mais on le sait, en ce domaine comme en bien d’autres, il ne suffit pas de « vouloir ». Les obstacles ne manquent pas qui gênent les efforts consentis et peuvent faire retomber comme un soufflé l’enthousiasme engendré par le stage.
Parmi les obstacles on peut citer :
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son histoire personnelle de pratiquant. Il est psychologiquement difficile de rompre avec sa formation initiale et nous avons massivement été formés selon la première conception.
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l’état des lieux des formations : il semble que la première conception pédagogique reste largement dominante dans les formations de l’ensemble des disciplines sportives en France (à confirmer). L’échange semble difficile, voire vain, si on reste dans cette conception.
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L’état de ses connaissances relatives à l’action, au mouvement, à la psychologie et à l’apprentissage.
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l’état des connaissances techniques proprement dites : comme l’ont bien montré Vigarello et Vivès les savoirs techniques en usage sont souvent approximatifs (parfois faits de « non savoirs et d’imaginaire ») L’effet de modes, la fascination pour des systèmes étrangers pris comme modèles, peuvent par ailleurs faire illusion.
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L’effet redoutable, quoique sournois, de ce que Alfred Korzybski désigne par une posture de « non sémanticien » qui - pour faire court - résume un mode de penser courant dans tous les domaines et qui vaut pour le monde de l’entrainement sportif (« On a su donner les apparences d'une voie confortable et sûre à l'ornière du conformisme et de la docilité. Certains éprouvent un sentiment d'angoisse et de culpabilité s'ils ne la suivent pas).
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Au total, il y a les transformations personnelles – toujours difficiles pour des professionnels en pleine activité - que requiert une pédagogie de l’action. L’entraîneur doit être plus un guide qui conçoit et anime des dispositifs pédagogiques (taches et/ou exercices) permettant au pratiquant de s’essayer, de tâtonner, d’inventer et qui l’aide à trier, à préciser, à enrichir, à stabiliser et auto-corriger les réponses efficaces trouvées.
Bref la tâche est considérable. On garde en tête que « la tenue d’un module de formation sur le thème de la pédagogie est une première»…. et que le séminaire ne durait que trois jours.
Listons alors ce qui a permis d’enclencher une dynamique porteuse (heuristique comme disent les chercheurs) pendant ce séminaire :
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Le fil rouge qu’a constitué la référence permanente à une pédagogie de l’action.
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les séances pratiques inter activités (les uns animant aux autres) comme point d’ancrage de la réflexion.
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les séquences d’expression et d’évaluation (dans ce stage « Je me suis donné le droit de penser librement » dira une stagiaire).
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le recours à des référents théoriques puissants (et pertinents !) notamment relatifs à l’action (Piaget, Wallon, Paillard), à l’apprentissage (Piaget encore), à la formation (Tochon).
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l’échange franc et respectueux entre les représentants de deux communautés sportives ne se connaissant pas au départ.
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des animateurs du stage (Raymond Catteau et Marc Begotti) à la hauteur de l’enjeu.
Cet ensemble représente probablement quelques unes des conditions nécessaires pour une reconduction fructueuse d’autres opérations du même type.
Jean-Pierre Muguet