LES METHODES NOUVELLES
Comment définir les méthodes nouvelles d'éducation et à partir de quand dater leur apparition ? Eduquer, c'est adapter l'enfant au milieu social adulte, c'est-à-dire transformer la constitution psychobiologique de l'individu en fonction de l'ensemble des réalités collectives auxquelles la conscience commune attribue quelque valeur. Donc, deux termes dans la relation que constitue l'éducation : d'une part, l'individu en croissance ; de l'autre, les valeurs sociales, intellectuelles et morales auxquelles l'éducateur est chargé de l'initier. L'adulte, percevant le rapport selon sa perspective propre, a commencé par ne songer qu'a ces dernières et par concevoir l'éducation comme une simple transmission des valeurs collectives de génération en génération. Et, par ignorance ou à cause même de cette opposition entre l'état de nature, caractéristique de l'individu, et les normes de la socialisation, l'éducateur s'est préoccupé d'abord des fins de l'éducation plus que de sa technique, de l’homme fait plus que de l’enfant et des lois de son développement.
Ainsi a-t-il été conduit, implicitement ou explicitement à considérer l’enfant soit comme un petit homme à instruire, moraliser et identifier le plus rapidement possible à ses modèles adultes, soit comme le support de pêchés originels variés, c'est-a-dire comme une matière résistante qu'il s'agit de redresser plus encore que d'informer. De ce point de vue procède toujours la majeure partie de nos précédés pédagogiques. Il définit les méthodes « anciennes » ou « traditionnelles » d'éducation. Les méthodes nouvelles sont celles qui tiennent compte de la nature propre de l'enfant et font appel aux lois de la constitution psychologique de l'individu et à celles de son développement.
Passivité ou activité.
Encore faut-il s'entendre. La mémoire, l'obéissance passive, l'imitation de l'adulte et, d'une manière générale, les facteurs de réception sont aussi naturels à l'enfant que l'activité spontanée. Or, on ne saurait dire que les méthodes anciennes, si antipsychologiques soient-elles parfois, aient entièrement négligé l'observation de l'enfant, à cet égard. Entre les deux pédagogies, le critère est donc à chercher, non dans l'utilisation de tel ou tel trait de la mentalité puérile, mais dans la conception d'ensemble que l'éducateur, dans chaque cas, se fait de l'enfant.
L'enfance est-elle un mal nécessaire ou bien les caractères de la mentalité enfantine ont-ils une signification fonctionnelle définissant une activité vraie ? Suivant la réponse donnée à cette question fondamentale, le rapport entre la société adulte et l'enfant à éduquer sera conçu comme unilatéral ou comme réciproque. Dans le premier cas, l'enfant est appelé à recevoir du dehors les produits tout élaborés du savoir et de la moralité adultes ; la relation éducative est faite de pression d'une part, de réception de l'autre. D'un tel point de vue, les travaux d'élèves, même les plus individuels (rédiger une composition, faire une version, résoudre un problème) participent moins de l'activité réelle de la recherche spontanée et personnelle que de l'exercice imposé ou de la copie d'un modèle extérieur ; la morale la plus intime de l'élève reste plus pénétrée d'obéissance que d'autonomie. Dans la mesure au contraire où l'enfance est considérée comme douée d'une activité véritable et ou le développement de l'esprit est compris dans son dynamisme, le rapport entre les sujets à éduquer et la société devient réciproque : l'enfant tend a se rapprocher de l'état d'homme non plus en recevant toutes préparées la raison et les règles de l'action bonne, mais en les conquérant par son effort et son expérience personnels ; en retour, la société attend des nouvelles générations mieux qu'une imitation : un enrichissement.
Psychologie et pédagogie, Gonthiers Denoël, 1969, coll. Médiations, Paris, pp. 199-201.
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