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G. BACHELARD

LA FORMATION DE L’ESPRIT SCIENTIFIQUE

 

Quand on cherche les conditions psychologiques des progrès de la science, on arrive bientôt à cette conviction que c'est en termes d'obstacles qu’ il faut poser le problème de la connaissance scientifique. Et il ne s'agit pas de considérer des obstacles externes, comme la complexité et la fugacité des phénomènes, ni d'incriminer la faiblesse des sens et de l'esprit humain: c'est dans l'acte même de connaître, intimement, qu'apparaissent, par une sorte de nécessité fonctionnelle, des lenteurs et des troubles. C'est là que nous montrerons des causes de stagnation et même de régression, c'est là que nous décèlerons des causes d'inertie que nous appellerons des obstacles épistémologiques. La connaissance du réel est une lumière qui projette toujours quelque part des ombres. Elle n'est jamais immédiate et pleine. Les révélations du réel sont toujours récurrentes. Le réel n'est jamais «ce qu'on pourrait croire» mais il est toujours ce qu'on aurait dû penser. La pensée empirique est claire, après coup, quand l'appareil des raisons a été mis au point. En revenant sur un passé d'erreurs, on trouve la vérité en un véritable repentir intellectuel. En fait, 1’ on connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites, en surmontant ce qui, dans l'esprit même, fait obstacle à la spiritualisation.

L'idée de partir de zéro pour fonder et accroître son bien ne peut venir que dans des cultures de simple juxtaposition où un fait connu est immédiatement une richesse. Mais devant le mystère du réel, l'âme ne peut se faire, par décret, ingénue. Il est alors impossible de faire d'un seul coup table rase des connaissances usuelles. Face au réel, ce qu'on croit savoir clairement offusque ce qu'on devrait savoir. Quand il se présente à la culture scientifique, l'esprit n'est jamais jeune. Il est même très vieux, car il a l'âge de ses préjugés. Accéder à la science, c'est, spirituellement rajeunir, c'est accepter une mutation brusque qui doit contredire un passé.

La science, dans son besoin d'achèvement comme dans son principe, s'oppose absolument à l'opinion. S'il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l'opinion, c'est pour d'autres raisons que celles qui fondent l'opinion; de sorte que l'opinion a, en droit, toujours tort. L'opinion pense mal; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s'interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l'opinion : il faut d'abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. Il ne suffirait pas, par exemple, de la rectifier sur des points particuliers, en maintenant, comme une sorte de morale provisoire, une connaissance vulgaire provisoire. L'esprit scientifique nous interdit d'avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu'on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. C'est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S'il n'y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit.

 

 

 

 

Gaston Bachelard,

La formation de l’esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance,

Vrin, « Bibliothèque des Textes Philosophiques – Poche », 1993. 304 p.

 

 

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Commentaires   

#1 Gérard GOSSET 07-03-2013 22:30
À la lecture de nombreux textes qui soulèvent l’intérêt du savoir, de « savoir savoir », d’acquérir des compétences dites scientifiques il n’est pratiquement jamais donné comment s’exercer à acquérir des compétences.
S’il est reconnu qu’une bonne respiration est importante pour mieux vivre : alors comment mieux respirer ?
Lors des échanges liés à la natation de demain, la quantité de savoir, de savoir-faire, de compétences, semble infinie, c’est à désespérer. Toutefois sachant que la vie n’est pas née d’hier, et que je suis le résultat actualisé d’une longue marche de la vie vers l’humanisation de l’homme, je reste patient et confiant, avec des circonstances favorables, je peux envisager une transformation possible dans le sujet de l’étude. Ce n’est que non-point de vue, mais il est rassurant pour garder la motivation (Désirer, faire et rester dans le faire).
GG.

Pardon, vous n'avez pas le droit pour l'instant.