Didactique

"c'est l'option pédagogique qui détermine la nature des contenus à enseigner"

ÉPIDÉMIE PÉDAGOGIQUE

 

Cette image datant du début du siècle précédent ne doit pas nous faire sourire. Tandis qu’un élève s’exerce tous les autres attendent leur tour.

Paul Beulque avait pris conscience de ce problème pour mettre au point sa méthode « d’enseignement collectif ». Subordonné à la limite de capacité de son appareil de suspension pour réaliser les mouvements dans l’eau, les élèves passaient un tiers du temps à s’exercer (les effectifs des classes des écoles publiques étaient le plus souvent de 30 élèves). Secondé par A. Descarpentries (professeur d’éducation physique formé à Joinville) il s’inspire des connaissances scientifiques de son époque, G. Demenÿ en particulier. Dans « Éducation et harmonie des mouvements » ce savant n’écrit-il pas : « Vaincre la peur de l’eau, apprendre à progresser dans ce nouveau milieu et se sauver en cas de danger, cela fait partie de toute éducation physique ». Et un peu plus loin : « Tout nous convie donc à apprendre à nager : l’utilité, la santé et le plaisir ; mais il faut un apprentissage ; avant de nous mettre à l’eau nous devons savoir quels mouvements nous devons y faire ».

De nos jours, la majorité des collègues intervenant en piscine continuent à enseigner des mouvements et il est fréquent de voir des « files d’attente » comparables à celle de notre image. S’attendant à voir la transformation visée ils suivent l’entrée de chaque élève dans la réalisation de l’exercice sur une certaine distance quand ce n’est pas une longueur de bassin en prodiguant des consignes.

À plusieurs reprises nous avons mesuré le temps de travail effectif dans l’eau d’un élève témoin pris au hasard pour trouver beaucoup de cas à environ 3 minutes pour la séance de 45 minutes. Prises de temps considérables pour expliquer ou démontrer gestuellement, commentaires divers. Etc.

Une très bonne animation voit cette valeur atteindre la moitié du temps. Nous incitons vivement nos collègues à mesurer leur performance et à nous en faire part. Il est préférable que ce soit une tierce personne qui chronomètre.

Le gros avantage de la « pédagogie de l’action » c’est cette possibilité de proposer à chacun la tâche correspondant au progrès attendu, simultanément pour tous les élèves du groupe et d’accorder ainsi plus de temps à l’activité de chacun.

raymond

mars 2019

 

PLAIDOYER POUR LE CORPS FLOTTANT

 

Dans notre conception de la construction du nageur, le « corps flottant » est considéré comme un passage obligé. En d’autres termes, ne pas l’avoir enseigné risque d’handicaper le niveau de performance possible pour l’élève.

En effet, le changement de substrat suppose une organisation posturale spécifique que l’apprenant doit s’approprier. Sur terre comme dans l’eau, nous sommes soumis à une force externe, dirigée de haut en bas, à laquelle nous ne pouvons échapper : « la pesanteur ». Pour stationner ou se déplacer dans son environnement solide, l’être humain, en réaction, s’est aligné selon la verticale mais orientée en sens contraire.

Son passage dans l’élément liquide va la soumettre à une nouvelle force, verticale également, générée par le fait qu’il s’immerge en occupant un volume homogène.

Chacune des forces se manifeste à partir d’un « point d’application ». Pour le corps humain, par nature hétérogène (fait de parties plus ou moins denses), le « centre de gravité » de la pesanteur se situera en un point différent du « milieu géométrique ». Tandis que pour la « Poussée d’Archimède » (P.A.), son point d’application se situera au « milieu géométrique » du volume immergé.

L’action combinée de ces deux forces, en s’exerçant en des points différents, ne se stabilisera que lorsque ces points seront alignés sur une même verticale. En fonction de la forme du corps adoptée ces points d’application se déplacent. Leur alignement déterminera une « direction » du corps dans l’eau.

De très nombreux entraineurs ou initiateurs proposent à leurs nageurs des exercices contreproductifs parce qu’ils ne tiennent pas compte des lois physiques auxquelles l’entrée en jeu de force est soumise. N’oublions pas la définition de la notion de « force » : ce qui accélère une masse. Au décollage d’une fusée qui atteindra des vitesses prodigieuses le passage de l’immobilité au mouvement se fait « lentement ». Tous les corps, en raison de leur masse possèdent une inertie qui fait qu’ils ne changent pas de forme, de direction, de vitesse.

Cette faible variation initiale de vitesse fait, par exemple, qu’un retour de bras lancé n’aura pratiquement pas le temps d’enfoncer le corps. Il n’est pour s’en convaincre que de passer des bras le long du corps aux bras dans le prolongement du tronc en « conduisant le mouvement » ou en « lançant » le bras relâché pour que, selon le cas le corps s’immerge ou non. Nous avions déjà signalé l’absurdité d’un exercice appelé « essuie glace » pour ces raisons.

Il est illusoire de vouloir volontairement modifier des coordinations, quelles qu’elles soient parce que c’est le cervelet (et non le cerveau) qui les met en jeu dans nos actions.

La didactique de la natation nous permet de comprendre le fonctionnement du nageur à travers la coordination des fonctions, toujours à l’œuvre. Ces fonctions sont assurées par les différents segments de notre corps en action. Celle de direction, celle d’alignement, celle de ventilation, et celle de propulsion soumises aux caractéristiques du substrat qui implique l’utilisation de forces en intensité croissante. L’activité des entraineurs et formateurs est trop rarement guidée par ces principes.

Nos lecteurs apprécieront de lire la surprise de Marc au cours d’un stage de formation d’entraineurs, car il y a des faits qui nous en apprennent plus qu’un long discours.

raymond

Deux exemples pour illustrer les propos de Raymond :

A l’occasion d’un stage des nageurs réalisent sous la conduite de l’entraîneur en formation un exercice trop connu, appelé « l’essuie glace », qui consiste en se déplaçant en battements avec une planche à bout de bras et de faire un grand arc de cercle au dessus de la surface de l’eau d’avant vers l’arrière puis d’arrière vers l’avant avec un bras puis l’autre.

Je m’approche et demande à cet entraîneur ce qu’il vise avec cet exercice, il me répond : « le but recherché est d’entraîner les nageurs à bien s’équilibrer pendant les retours de bras en crawl »

Second exemple, il y a quelques jours avec des entraîneurs nous nous trouvons en présence d’un nageur qui paraît « lutter contre un déséquilibre » en crawl et nous faisons l’hypothèse que ce nageur n’a pas construit le « corps flottant ». En quelques minutes nous lui permettons de passer d’un corps pesant au corps flottant, avec un grand sourire il nous dira « je flotte ».

Nous sommes presque surpris de constater qu’immédiatement après, ce nageur de déjà 16 ans nage le crawl de manière plus relâchée, il nage aussi avec une plus grande amplitude et nous constatons que le rythme de son battement a aussi changé.

marc

 

 

 

Nages hybrides

 

Suite à la question de B.L. :

 

Bonjour Raymond.

J’enseigne la natation en Nouvelle Zélande depuis une vingtaine d’années et explore d’autres méthodes d’enseignement.

Je voudrais avoir votre avis sur l’intérêt d’enseigner les nages hybrides (bras de brasse avec battements et dos a deux bras avec battements) avant de commencer les nages codifiées.

Merci d'avance

B.L.

 

Cher Collègue,

Depuis quelques années, l’utilisation des nages hybrides dans les entrainements s’estompe.

Et cela semble correspondre aux modifications des représentations chez les entraineurs impliquant des pratiques organisées à partir d’actions.

L’illustration de pratiques analogues en éducation physique nous renvoie à G. Hébert et à sa méthode destinée à un grand nombre de personnes s’exerçant en un espace et une durée réduits. S’agissant d’une locomotion, les exercices de marche et de quadrupédie utilisent de nombreuses variantes. La marche à l’amble projette vers l’avant un membre supérieur et un membre inférieur simultanément. En quadrupédie, un segment (bras ou jambe) sera immobilisé. (Marche à 3 pattes). Etc, etc... :

Ces exercices permettent-ils de courir plus vite un 100 m. ? Cela est loin d’être prouvé.

Dans l’enseignement de la natation, une croyance persiste qui consiste à prolonger (voire additionner) les effets des mouvements isolés des membres inférieurs et des membres supérieurs par leur coordination.

Dans les pratiques d’entrainement l’idée d’associer la propulsion des membres inférieurs à celle des membres supérieurs à la vie dure.

Elle repose sur une illusion.

Toutes les coordinations subordonnées à la poursuite d’un résultat sont l’œuvre du cervelet qui ne donne pas d’images conscientes.

En natation, les nages hybrides illustrent cette illusion et sont donc parfaitement inutiles.

 

Merci pour votre question.

Cordialement ,

raymond

 

 

Nages hybrides et dos à 2 bras : pour lever toute ambiguïté


Un entraineur à l’écoute des échanges avec notre collègue en Nouvelle Zélande a, un peu hâtivement, déduit que l’exercice du «  dos à 2 bras » chaudement recommandé devait être assimilé à une nage hybride et donc à proscrire.

L’intérêt essentiel de cet exercice réside dans le fait qu’il caractérise la structure de toutes les nages en associant et juxtaposant le « passer à  travers » et le « prendre appui sur » les masses d’eau.

La lecture « attentive » de La natation de Demain lui permettra de vérifier qu’à aucun moment il n’a été question de préciser ce que les membres inférieurs devaient respecter.  La coordination spontanée gèrera la « dynamique posturale » assurant l’orientation du  corps sur la trajectoire, l’alignement, le degré souhaitable d’immersion et  la relative indéformabilité de la masse mobilisée.

Dans cet exercice, le nageur recherche la centration sur l’inertie au terme de l’accélération, ou comment organiser la pale pour qu’elle « embrasse » une grande masse d’eau, ou comment produire son accélération dans la direction choisie.  C’est probablement une raison de son importance dans la construction du nageur.

Le critère de réussite pourrait se concrétiser dans le « record du monde » consistant à parcourir 25 m. , en partant du plot et en  n’utilisant qu’un seul cycle de nage.

raymond

 

 

« Réussir pour comprendre ».

Nous postulons que c’est seulement après avoir réussi à obtenir une transformation significative avec ses élèves qu’un enseignant de natation pourra comprendre les fondements didactiques sur lesquels repose cette réussite.

C’est pourquoi nous proposons à tous les enseignants "une fiche de construction du corps flottant" pour éviter les noyades.

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Fiche de construction

 

Pour éviter les noyades

8 séquences pour passer

d’un corps « pesant » au « corps flottant »

 

 

 

Le cheminement proposé permettra aux élèves de construire* « le corps flottant » et à l’enseignant de s’approprier par l’action des contenus d’enseignement essentiels à l’efficacité éprouvée.

 

* La notion de « construction » vient se substituer à celle d’apprentissage car elle intègre une transformation du fonctionnement de terrien.

 

Plusieurs séquences peuvent être réalisées au cours d’une même séance de 45 minutes. Une seule séquence peut aussi faire l’objet de plusieurs séances de 45 minutes.

Le passage à la séquence suivante ne doit s’opérer, et ne peut s’opérer, que lorsque le but de la séquence précédente a été atteint à de nombreuses reprises par tous les élèves.

 

Séquence n° 1

 

But à atteindre : une nouvelle locomotion en grande profondeur

 

Les élèves entrent dans l’eau en grande profondeur pour remonter à l’autre extrémité du bassin. (Ils peuvent utiliser l’échelle pour descendre dans l’eau où pas)

 

Le déplacement s’effectue à l’aide des bras, le buste est rigidifié verticalement, les pieds et d’autres parties du corps sont en contact avec le mur vertical. Les élèves prennent appui sur la goulotte leurs épaules sont immergées. L’espace d’action (là où on se déplace) et l’espace de vision sont distincts.

Les élèves confrontés à la grande profondeur découvrent une nouvelle locomotion. Le corps est perçu différent.

 

 

Séquence n° 2 

 

But à atteindre : une locomotion avec le corps en suspension

 

Les élèves multiplient les déplacements d’un point à un autre en utilisant la goulotte 

1) déplacement libre,

2) avec les épaules sous l’eau,

3) déplacement avec une grande amplitude entre 2 appuis,

4) déplacement plus rapides

5) déplacement en fermant les yeux,

6) déplacement en se retournant dos au mur face au mur.

 

Les épaules s’enfoncent dans l’eau, le corps est perçu de moins en moins « pesant ». Les pieds ne sont plus toujours en contact avec le mur vertical. Ils participent à la préservation de l’orientation du corps. Les élèves lors des déplacements de plus en plus rapides préservent l’équilibre vertical par une action de jambes s’apparentant au schème de la course.

Les élèves passent de l’appui à la suspension.

 

 

Séquence n°3 

 

But à atteindre : une immersion de plus de 10 secondes .

 

 

Les élèves s’immergent totalement en apnée, accrochés à la goulotte.

Et le font sur des déplacements toujours plus longs

 

Ils Immergent la face, bouche ouverte visage orienté vers le fond, yeux ouverts.

 

Les élèves immergent la tête le plus longtemps possible (nombre croissant d’ancrages et/ou durée accrue).

 

Les élèves réalisent une apnée de plus de 10’’ corps immergé avec les mains comme seul contact avec le monde solide.

 

Les élèves se déplacent à la goulotte sur la plus grande distance possible en immergeant la tête.

 

Les élèves quittent le contact avec le bord pour le reprendre très rapidement.

Les élèves se déplacent sans contact avec le mur vertical de la piscine le long d’une perche, d’une ligne d’eau

 

La tête immergée le corps commence à être perçu comme flottant. La peur du remplissage disparait. Les jambes remontent en surface. L’espace d’action et l’espace de vision sont confondus. Les jambes assurent la fonction équilibratrice.

 

 

 

Séquence n° 4 

 

But à atteindre : toucher le fond, profondeur 2 mètres environ

 

Les élèves descendent le long d’une perche ou le long du corps d’un camarade accroché à la goulotte et touchent le fond avec les pieds puis ouvrent les mains avant de remonter sans impulsion au fond.

Ils touchent le fond avec les genoux, la main, avec d’autres parties du corps.

 

Descendre au fond est perçu comme une difficulté, la durée de la remontée est plus courte que la durée de la descente. Toucher le fond permet de délimiter l’espace d’action.

Les élèves perçoivent qu’ils remontent en surface facilement et rapidement. La peur de l’engloutissement disparaît.

 

 

 

Séquence n°5 

 

But à atteindre : rester au fond 5 secondes.

 

Les élèves multiplient les déplacements à la verticale, ils tentent de rester au fond quelques instants puis remontent sans s’aider du corps du camarade.

 

Rester au fond est impossible pour la majorité des élèves, cela n’en demeure pas moins un objectif de tâche.

Attention ! C’est une absurdité pédagogique de demander aux élève de vider leurs poumons pour rester au fond.

C’est l’impossibilité de réussir la tâche qui transformera « la peur de rester au fond ».

La différence de densité entraîne la remontée du corps. Le corps est perçu comme flottant.

Contradiction entre les faits et les représentations !

 

 

Séquence n°6 

 

But à atteindre : laisser passivement l’eau agir sur son corps.

 

Les élèves descendent au fond et remontent passivement, arrivés à la surface ils gardent la tête immergée jusqu’à ce que l’eau les stabilise puis ouvrent la bouche.

L’extension de la tête puis le déplacement des membres supérieurs vers l’avant ou vers l’arrière modifient l’orientation du corps vers l’obliquité ou l’horizontalité.

 

Les élèves s’allongent sur le ventre bras dans le prolongement du corps pendant 10’’ sans bouger avant de se redresser, (en amenant les genoux aux épaules) idem sur le dos beaucoup plus longtemps (le temps de plusieurs échanges respiratoires).

 

Les élèves changent de forme et laissent l’eau agir sur leur corps passivement. Les élèves sont capables de choisir une forme en fonction de l’orientation souhaitée.

Les élèves ont construit le corps flottant.

 

 

Séquence n°7

 

But à atteindre : Sauter dans l’eau et se rendre indéformable pour « passer à travers » l’eau pour toucher le fond avec les pieds en grande profondeur.  

 

Les élèves sautent dans l’eau du bord par les pieds en restant bien vertical et en conservant le regard à l’horizontal.

Bras le long du corps puis bras dans le prolongement du corps.

Dans l’espace avant, puis dans l’espace arrière.

Les élèves exécutent des demi-tours à droite, à gauche.

A chaque saut ils touchent le fond avec les pieds.

 

Séquence n°8 

 

But à atteindre : Accepter le déséquilibre et le changement de direction

 

Les élèves basculent du bord et entrent dans l’eau sans pousser pour que le premier contact avec l’eau se fasse par la nuque

Les élèves basculent du bord dos à la surface sans pousser pour que le premier contact avec l’eau se fasse par les fesses, corps en »V »

 

Les réussites successives des élèves leur ont permis de construire le « corps flottant », la noyade n’est plus possible.

 

Les élèves ont réussi à franchir des obstacles psychologiques et physiques pour passer d’un monde hétérogène indéformable et solide ou l’équilibre vertical est instable à un monde liquide, déformable homogène ou l’équilibre est stable.

 

Les élèves ont inhibé leurs peurs en franchissant des obstacles psychologiques : le risque de disparaître, l’engloutissement, le remplissage.

 

La construction du corps flottant est « le premier niveau de construction du nageur » qui en compte six, c’est le pré requis à la construction du « corps projectile » puis du « corps propulseur ».

 

 

 

Conditions pour permettre à des élèves débutants de construire « le corps flottant » :

De 5 à 10 séances de 45 à 60 minutes par groupe de 10 élèves suffisent (la notion de groupe est très importante pour se construire rapidement).

Disposer d’une piscine dont la profondeur ne permette pas aux élèves de mettre leurs pieds au fond (la perte des appuis plantaires est indispensable).

Ne pas équiper les élèves de prothèses : flotteurs, frites, planches etc. …

Ne pas « aménager » le milieu ou l’encombrer d’accessoires, il s’agit d’entrer dans un monde qui se caractérise par son homogénéité.

Mettre les élèves en action à partir du but à atteindre en suivant le cheminement proposé.

Ne pas masquer le sens de la tâche (par exemple : toucher le fond ce n’est pas ramasser un objet au fond).

 

Septembre 2018

Marc, Raymond