Technique

PERLES *

 

Un ami, fidèle visiteur du site, se demandait si l’on pouvait considérer certains propos tenus par les consultants de la Télévision comme relevant de notre rubrique. Et, tout comme lui, j’avais bien relevé une expression consacrée prononcée à plusieurs reprises lors des épreuves de brasse.

Armés d’un solide dossier de presse contenant l’histoire de tous les participants parvenus à ce stade des compétitions, nos intervenants sont en mesure d’annoncer les faits et performances ayant jalonné leurs divers parcours. Ils connaissent les nageurs mais connaissent-ils la natation ? Ils en ont nécessairement une représentation spontanée superficielle, hélas encore largement partagée, du nageur à deux moteurs dans les modes alternés, moteur bras et moteur jambes qui seraient utilisés volontairement de manière associée ou dissociée. Dans les parcours sous la surface des départs et virages le « propulseur jambes » est considéré souvent comme exclusif. Leur modèle de la brasse comporte une action de jambes encore qualifiée de « ciseaux » ! Cette vision idéologique est-elle une survivance des origines militaires de son enseignement ? Est-elle le reflet de pratiques sclérosées encore trop largement en usage chez nous dans l’initiation des scolaires ? Voire prônées par quelques « universitaires » dans « la Grande Évasion » !

Anciens nageurs, nos commentateurs ont pu se situer dans la réussite en action sans nécessairement se trouver confrontés à la nécessité de comprendre leur propre fonctionnement à défaut de comprendre la logique de toute l’évolution de la natation à la poursuite de la performance, nous dirions de sa technologie.

C’est malheureusement un constat que chacun peut encore faire en ce début de XXI° siècle, l’enseignement de la brasse se fonde sur les bases archaïques des trois temps du mouvement des jambes : « pliez – écartez – rapprochez » et ce dernier temps considéré comme temps fort ou temps moteur préparé par les deux précédents. En toute logique il semble souhaitable d’écarter très fort les membres inférieurs l’un de l’autre !

Les historiens se feront un plaisir de remonter de plusieurs siècles jusqu’à l’origine de cette représentation. On peut s’étonner de lire encore en 1936 chez P. Neukom une tentative d’assimilation des battements de jambes du crawl aux ciseaux de brasse. L’orientation de l’axe du pied dans le prolongement de celui de la jambe semble s’imposer pour que l’eau soit chassée par le rapprochement des membres inférieurs. Le simple fait que les segments se croisent en montant et descendant voudrait que leur écartement annule les effets de leur phase de rapprochement. Mais l’auteur n’est pas questionné par une analyse de la réalité. Il utilise l’image des ciseaux pour illustrer sa représentation.

  

 

En 1943, dans la « Leçon type de natation », G. Hébert fait encore explicitement du « rapprochement » des membres inférieurs préalablement écartés le « principe de la propulsion en natation ». Il l’illustre en prenant les exemples de dessins de la brasse et de l’indienne.

 

 

Nos commentatrices de la télévision vont-elles à leur insu, par l ‘usage répété de cette expression, conforter les pratiques encore en usage et retarder les effets visibles de l’évolution que les nageurs de brasse, à la recherche de l’efficacité, ont été amenés à adopter ? Il serait vraisemblablement préférable d’évoquer des « poussées de jambes » en considérant que la surface impliquée, orientée vers l’arrière dans cette action, concerne la face interne du pied et de la jambe proprement dits. Techniquement cette orientation implique une combinaison de la rotation interne (pronation) de la cuisse associée à une rotation externe (supination) de la jambe. Cela en fait la principale difficulté anatomique et exige souplesse, laxité, des articulations concernées pour atteindre l’efficacité. Chez le nageur performant, la poussée rétrograde commence lorsque les talons se sont rapprochés des hanches et que brusquement les pieds s’orientent face interne vers l’arrière. Elle se révèle considérablement propulsive en accélérant tout le corps et se termine avec un certain écartement des talons qui passivement se rapprochent pour faciliter le temps projectile de cette nage.

Lorsque l’écart se creuse et le divorce apparaît entre les solutions du haut niveau et les propositions pédagogiques, il appartient à la didactique de jouer son rôle et à la pédagogie de se transformer, de s’adapter et non l’inverse.

Ainsi, pourrait-on imaginer actuellement que dans un club d’athlétisme on s’obstine à préparer les sauteurs en hauteur par le moyen de la technique dite « en ciseaux » ? Étrange analogie du même terme pour des actions et des sports aussi différents !

Nos visiteurs peuvent proposer une formulation qui viendra se substituer à cette fâcheuse expression de « ciseaux » pour « chasser l’eau ».

raymond

*1) Fig. Iron. « absurdité, ineptie, souvent chargée involontairement d’un sens plus ou moins burlesque ».

 

Commentaire :

Je crois que les commentatrices de France TV savent bien que le mécanisme de la propulsion des jambes de brasse en compétition n'est plus l'ancien "plier-écarter-serrer" mais qu'elles utilisent le mot ciseau par tradition sans y faire attention.

Le problème de la persistance de cet enseignement vient à mon sens effectivement d'un problème didactique dans la construction du nageur. Le fait de vouloir commencer l'apprentissage du débutant par la brasse - qui constitue un contenu momentanément inaccessible pour ce dernier - oblige les enseignants à dénaturer celle-ci en s'écartant du précepte de Bachelard (que je cite de mémoire en espérant ne pas me tromper): "les premiers apprentissages peuvent être incomplets mais ils ne doivent cependant pas être faux".

Dans mon entourage professionnel, je rencontre en général des éducateurs qui sont conscients de la désuétude du ciseau traditionnel en compétition mais qui le considèrent comme un passage obligé pour apprendre la poussée moderne des jambes de brasse. D'autres (en général d'anciens BEMNS) se fichent totalement de la construction du nageur et se contentent d'un dressage pseudo-sécuritaire pour permettre la traversée du bassin en 10 leçons moyennant finances. J'ai parfois récupéré de véritables désastres natatoires: des enfants capables de traverser le bassin verticalement, le regard orienté vers le plafond mais incapables de la moindre immersion prolongée.

En ce qui concerne l'expression qui pourrait remplacer les « ciseaux de jambes » en brasse, je trouve que si l'on se centre sur l'action, la « poussée des jambes » en brasse que propose Raymond est pertinente. Si l'on veut se concentrer sur la description du mouvement, je propose de parler du mouvement de « catapulte des jambes ». 

J. Guillemot

 

PARALOGISME !

 

En cette période où abondent les images et les discours à propos de championnats du Monde de natation, la lecture d’un article de Jacques Lecomte reprend une singulière actualité. « Le paralogisme est le propre de l’esprit humain » ! (Informations exactes, conclusions absurdesextrait de Science et Vie, n° 894, mars 1992).

Parmi les dysfonctionnement du raisonnement : « prendre l’effet pour la cause » se note très fréquemment. Ceux de nos amis qui analysent les images à travers la pertinence du modèle théorique de fonctionnement des nageurs dans la diversité des modes locomoteurs n’auront pas manqué de relever la consistance du préjugé du « moteur jambes » dans les nages alternées dans les propos de nos commentatrices (et teurs) de la télévision.

Ces derniers n’ont pas encore assimilé le lien ou la conséquence du fait que les propulseurs anatomiquement positionnés à distance de l’axe du corps entraînent mécaniquement dans leur action des déviations de l’axe des nageurs par rapport à leur direction de déplacement, déviations d’autant plus importantes que ces actions sont intenses et par conséquent la nécessité de réajuster la trajectoire du corps par rapport à celle du déplacement au moyen d’ actions synchrones des membres inférieurs. L’interdépendance de l’activité des membres supérieurs et inférieurs ne peut échapper à qui se donne la peine d’analyser les images sous marines que les « ralentis » accentuent.

Nos commentateurs n’ont pas non plus compris les conséquences mécaniques de la logique qui fait varier la fréquence et l’intensité des battements de jambes, non seulement en fonction de la puissance de l’entrée en jeu des membres supérieurs mais également pour mieux réaligner le corps à l’approche des virages sans qu’il y ait accroissement significatif de la vitesse moyenne. Cela se repère également chez les nageurs « à 2 temps » ainsi que lors d’un éventuel sprint à l’arrivée. L’histoire nous a appris les conséquences désastreuses pour la performance de l’observation d’une consigne appliquée consciemment par le nageur de « mettre les jambes » sur la fin d’un parcours. Les changements observés ne sont pas « voulus » par les nageurs mais imposés par sa logique de fonctionnement.

Nous recueillerons avec plaisir toutes les « perles » que nos entraîneurs éclairés voudront bien relever pour le progrès de nos connaissances.

raymond

 

Suite à la question de G. Simoes:

Bonjour, J'ai deux exposés à faire. Un sur les départs en crawl et l'autre sur l'entraînement de carrière. Le premier je pense avoir réussi à trouver quelques informations, mais d'autres informations de votre part pourraient compléter mon exposé. Ensuite le deuxième : l'entraînement de carrière je ne sais pas du tout par ou commencer. Pourrais -je avoir quelques informations ainsi que quelques pistes sur ce sujet. Merci de votre compréhension Cordialement G. Simoes

 

DEPARTS

Il est assez symptomatique que des étudiants aient recours au site pour réaliser un exposé ou une présentation.

Est-il pertinent de faire deux exposés et ne serait-il pas plus judicieux d’approfondir un sujet afin de développer une méthodologie réinvestissable ?

Souvent les informations apportées par le demandeur se révèlent trop lacunaires pour répondre avec précision et concision à la sollicitation.

La dernière précaution dans la réponse consiste à ne pas se substituer à l’étudiant en le privant du travail à réaliser et de conditions indispensables à sa propre formation.

Le premier niveau de connaissance étant la description nous invitons notre visiteur à visionner les images de la première partie du « record du monde » tout en sachant qu’il n’y a pas eu de signal de départ.

  • les différentes phases sont à repérer à travers la flexion simultanée des parties du corps impliquées

  • la phase suivante se terminera au moment précis où les orteils quitteront le plot

  • la phase d’élévation impliquera dans la partie aérienne et à son sommet un changement de direction du nageur

  • cette direction nouvelle sera plus ou moins maintenue dans la pénétration dans l’eau

  • un nouveau changement de direction pour aller vers l’avant s’opèrera dans l’eau

  • ici une phase importante ne peut se voir en raison de la consigne spécifique à cette action complexe de l’épreuve originale et il convient donc de préciser ce qui se passe chez le nageur : le déclenchement et la réalisation d’ondulations (la présentation des amis du Québec peut aider) et de plus notre caméra n’est pas dans l’eau.

  • Le départ proprement dit prend fin avec la reprise de nage qu’il doit favoriser.

En se reportant à l’Enseignement de la natation à partir de la page 251 de la troisième édition du Catteau Garoff en bibliothèque il sera loisible de repérer ce qu’il était pertinent de réaliser à cette époque et ce que le nouveau matériel implique comme transformation technique du geste faisant l’objet de l’étude et donc de son actualisation.

Question complémentaire ajuster l’exposé « départs » à « en crawl ».

Photo illustrant le plot actuel

 

Le second sujet ou du moins sa reformulation par l’étudiant pose problème

(De quoi s’agit-il ??? Qu’a dit l’enseignant et qu’à entendu l’étudiant ???)

L’entraînement de carrière est pour moi une expression étrange et inconnue.

Par contre je sais que la notion de « plan de carrière du nageur » a connu une certaine vogue et s’est trouvée remarquablement développée dans l’ouvrage de Claude LEPAGE : « INITIATION A L’ENTRAÎNEMENT EN NATATION »

Il serait donc sage de s’y reporter pour construire un exposé consistant.

raymond

 

Départ - Images

 

Les images qui suivent sont destinées à tous les participants aux TP.

Elles sont volontairement « neutres » et appellent VOS réactions.

 

 

Suite à la question de Thibaut :

Questionnement sur la brasse.


Bonjour,

Je m'excuse de vous déranger, je suis en étude pour devenir Maitre Nageur Sauveteur, et je dois vous dire que Raymond Catteau est une excellente source d'information et d'apprentissage pour ma formation.

Cependant la semaine prochaine j'ai un exposé sur le sujet suivant : "la coordination et synchronisation de la nage" avec pour moi le sujet sur la brasse.

Après avoir expliqué ce qu'est la brasse, ensuite évoqué la coordination dans la brasse (dissocier mouvement des bras et des jambes pour être le moins freiné possible), je vous avoue que je bute sur une définition réelle de la synchronisation dans cette nage.

Je ne trouve pas de définition précise et le temps passe, les recherches avec mais je suis toujours dans le flou.

Pourriez-vous m'aider svp?

je vous en serai très reconnaissant.

Thibaut le cras


COORDINATION SYNCHRONISATION

Ces deux mots se trouvent au cœur de la question posée par notre étudiant.

Qu’il se rassure, ses questions, loin de « déranger », contribuent à clarifier des notions et souvent à mieux poser des problèmes. Je tiens donc à l’en remercier.

La nécessaire distinction entre ces deux termes de « coordination » et de « synchronisation » s’est posée à moi pour bien situer dans l’espace/temps les mouvements des membres supérieurs et des membres inférieurs dans les différentes nages.

Le terme « coordination » exprime l’idée de choses qui se déroulent en même temps dans un certain ordre. Ce même temps n’étant pas instantané (photo) mais dans un déroulement temporel, une durée (cinéma), il convenait de le décrire à propos des mouvements des membres des nageurs. Cela s’est opéré en partant de l’analyse de vues sous-marines de champions olympiques dans tous les modes de nage.

Dans les nages alternées, on observe que ce qui se passe d’un côté se trouve nécessairement associé à ce qui se passe de l’autre. C’est la description de cette liaison fonctionnelle qui se trouve envisagée lorsque l’on parle des membres supérieurs ou inférieurs entre eux que l’on doit distinguer de la liaison fonctionnelle lorsque l’on parle des membres supérieurs et des membres inférieurs.

Si notre étudiant se rend à la bibliothèque pour y emprunter le livre « l’enseignement de la Natation » Catteau-Garoff, il trouvera à la page 217 de la troisième édition (1974) le dernier paragraphe intitulé « LA SYNCHRONISATION » excluant le problème de la coordination (selon notre définition conventionnelle) (sic).

En effet, dans un souci de distinction pédagogique, je ne voulais pas utiliser le même mot pour évoquer les coordinations au niveau de chaque train (supérieur ou inférieur) et la coordination des trains entre eux.

Il y a donc là un piège sémantique à éviter.

Les deux termes évoquent bien une « coordination » !

Ce qui me semble important pour notre étudiant c’est de connaître :

  • le contexte du recours à l’exposé par les élèves

  • sa finalité par rapport au lien entre une pratique et le recours à « des connaissances disponibles » pour fonder les pratiques.

  • Si cela est bien le cas ? Quel type de pratique est visé ? Pédagogie du mouvement ou pédagogie de l’action ?

De cette option dépendra ce qu’il convient de préciser à propos des coordinations de la brasse !!!

Coordonner des fonctions pour « passer à travers l’eau » et pour « accélérer des masses d’appui » n’a plus rien à voir avec coordonner les mouvements des bras et des jambes.

Le recours à la définition des termes plaide en faveur de la pensée rationnelle chez notre étudiant ; il peut donc avoir recours au lexique du site pour y trouver les définitions le faisant sortir du « flou » mais il pourra également avoir recours à un dictionnaire de la langue comme « le petit Robert » pour affiner son vocabulaire.

Au stade actuel de son exposé on remarque :

1) expliquer la brasse ??? Son histoire ? Sa logique ?? Son statut dans la pratique compétitive ? Dans l’enseignement ???

2) Evoquer ou décrire une ou des coordination(s) ?? Chez un nageur de Haute performance ? Celle de notre « jeune nageuse » sur le site ???

Cette dernière option pourrait fonder et accompagner son exposé s’il disposait d’un vidéoprojecteur et des instruments lui permettant la projection image par image.

3) il entrerait alors de plain pied dans le contenu de son exposé après avoir défini « le mouvement » lexique du site et sachant qu’il se trouve en présence d’un référentiel exocentré.

4) ce référentiel permet de comprendre le fonctionnement du brasseur si l’on met en évidence la fonction des jambes dans la propulsion, et celle des bras dans la ventilation.

Dans l’espoir que ces quelques indications soient utiles à notre futur collègue.

raymond