Pédagogie

"A travers les écrits de Raymond, pensés comme produits provisoires dans sa construction, nous proposons de redécouvrir la dynamique de sa pratique et de sa pensée bref de tenter une élucidation du processus de construction de sa compétence d’intervention."

 L’éducateur a besoin d’être éduqué

Introduction au T. P. de SERGE

 

Il faut certainement une longue pratique pédagogique dans les Activités Physiques et Sportives inspirée par les principes de l’école active ainsi qu’une solide culture scientifique et philosophique pour analyser aussi lucidement la vidéo soumise à l’évaluation de nos visiteurs.

En mettant l’accent sur les écarts entre les images et les discours il interpelle l’observateur sur sa propre analyse, attire son attention sur l’absence de liens entre les exercices jetés « en vrac » et souvent propose d’autres solutions bien plus efficaces.

Il est fort à craindre que les étudiants (et accessoirement les MNS et enseignants) à qui cet exposé est principalement destiné n’aient pas l’expérience et les outils pour identifier, à travers la puissance de l’image, l’inconsistance du contenu et l’aspect idéologique et erroné du discours tenu, voire la menace d’une stagnation de la pédagogie de la natation dans le folklore datant d’un autre siècle.

« L’éducateur a besoin d’être éduqué » !

Nous remercions notre collègue Serge pour ce texte particulièrement riche.

raymond 

Quelques considérations sur la vidéo.

 

D’emblée les deux formateurs considèrent que la natation se différencie des autres activités sportives par des difficultés supérieures d’apprentissage des élèves et sous l’angle sécuritaire. La pédagogie de l’action considère que tout apprenant sait faire et apprend dès lors qu’il est engagé dans l’action. Toute conquête du pouvoir d’agir est une avancée vers plus d’autonomie et de connaissances du monde, y compris celles des dangers. De plus les progrès sont source de joie.

A propos de la définition de la maîtrise du savoir-nager.

Les auteurs font un inventaire des capacités que doit acquérir l’élève. Cependant, en natation, le savoir nager est avant tout une locomotion autonome dans l’eau, c’est-à-dire une capacité à franchir une distance ; nager mieux c’est franchir des distances de plus en plus grandes. Or celle-ci est absente du répertoire.

En outre, les « techniques de propulsion » qui sont proposées pêle-mêle sont envisagées par les mouvements des membres supérieurs et des membres inférieurs et leurs possibles combinaisons. Or, la technique (1) c’est la connaissance des nages, leurs structures et leurs fonctionnements. En outre, les actions de nage ne sont pas des mouvements quelconques mais elles sont des systèmes de mouvements coordonnés en fonction d’un résultat ou d’une intention. (1) De ce fait les stratégies éducatives mises en œuvre par les formateurs seront faussées, inexactes et contre-intuitives.

Par ailleurs, contrairement à ce qui est suggéré dans leurs propos, il n’y a pas de différence de nature entre l’expert et l’élève de 6ème ; elle est de degré, de niveau. Les problèmes et les principes d’action auxquels sont confrontés le débutant et l’expert sont communs : le corps flottant, le corps projectile, le corps propulseur. Ce qui les différencie sont les niveaux de l’action. Enfin, rien n’est écrit sur la respiration mais ils proclament l’emploi exclusif de l’apnée en inspiration bloquée voire forcée. Comment alors prétendre faire nager des distances de plus en plus grandes ? Si l’apnée, dans un premier temps, est une solution, elle doit rapidement être remplacée par des solutions ventilatoires favorables à la locomotion, par exemple nager bouche ouverte et expirer pendant les actions propulsives.

A propos des étapes d’apprentissage.

La première étape est ciblée comme une étape essentielle et pourrait s’apparenter à la construction du corps flottant. Les formateurs expliquent le problème psychologique rencontré chez le débutant que représente la peur de l’eau : l’engloutissement et le remplissage. De plus ils affirment qu’il faut proscrire l’utilisation de matériel. Nous aurions pu adhérer à ces préceptes mais les solutions pédagogiques pour résoudre le problème sont totalement erronées. En effet, une vidéo montre deux jeunes nageuses qui sautent à l’eau agrippées à une perche, illustrant l’immersion. D’une part, par quel miracle pédagogique un élève qui n’accepte pas de passer la tête sous l’eau, puisse sauter à l’eau, même avec l’aide d’une perche. Imaginons Pierre dans le film Digne Dingue d’Eau dans la même situation. Ce n’est pas après discussion ou négociation selon les propos du formateur que Pierre aurait accepté de s’immerger ! On est au-delà du comprendre pour réussir, on est dans l’irrationnel, dans la magie. D’autre part, l’immersion totale ne s’évalue pas par un simple et soudain passage du corps entier sous l’eau.

Puis les deux vidéos suivantes montrent des élèves glissant à la surface de l’eau et nageant en crawl en petite profondeur. Le formateur ajoute qu’ils sont incapables de reproduire ces déplacements dans la grande profondeur. Et pour cause, les élèves n’ont résolu ni l’immersion complète, ni la profondeur. En conséquence le corps flottant n’est pas construit. De ce fait la peur de l’engloutissement existe voire est renforcée par l’illusion du savoir nager en petite profondeur (là où il y a pied). L’analyse de fonctionnement du nageur est insuffisante et condamne l’enseignant à des impasses pédagogiques. Ce qui est incompréhensible et contradictoire c’est qu’un formateur insiste sur la nécessité de flotter sans mouvement en adoptant des positions de corps différentes. A quel moment est-ce abordé ? Comment s’y prend-il ? Enfin, le formateur qualifie cette étape de familiarisation. Ce qui est un contre sens, car avant que l’eau ne devienne un espace, un objet familier à l’élève, celui-ci devra passer par des tâches identifiées et maîtrisées de constructions pour accéder au corps flottant, en grande profondeur. De ce fait, le corps flottant est un passage obligé qui conditionne la suite des apprentissages, le corps projectile-propulseur.

A propos de la relation enseignant-enseigné

Pour ces formateurs, le maître construit sa relation de confiance avec l’élève dans la logique sécuritaire : l‘enseignant sauveur de l’élève d’une éventuelle noyade. Cette relation est basée sur l’affect et la toute-puissance du maître alors que la confiance doit s’établir à partir de l’objet enseigné. Le maître qui en connaît la logique de fonctionnement, crée les tâches qui permettent à l’élève de réussir.

A propos du corps projectile-propulseur

En résumé, après l’étape de familiarisation, l’élève n’a pas résolu le corps flottant, notamment l’immobilité et la position particulière horizontale du corps dans l’axe de déplacement ; il n’a pas construit le corps projectile, notamment le plongeon départ et l’indéformabilité de la posture. En conséquence, les auteurs ont recours à des accessoires (pull boy) pour résoudre passivement et artificiellement la posture horizontale du corps et la propulsion par les membres supérieurs. Quid du rôle de l’activité propre (active) du sujet dans son espace sensori-moteur ; de plus, quid du rôle primordial joué par la tête dans l’organisation des postures et des mouvements du corps ou de ses segments mobiles orientés dans l’espace. (2) Ces connaissances auraient permis probablement aux enseignants d’éviter les fausses solutions.

Toutefois et contradictoirement, les formateurs admettent que les élèves doivent être confrontés à la grande profondeur afin de construire des actions et des représentations différentes de celles vécues dans la petite profondeur. Ils spéculent et suggèrent un va et vient de la petite profondeur à la grande profondeur pour la réussite du nageur, en commençant par la petite profondeur. Par quels enchantements s’opèrent la liaison, les transformations pour une locomotion autonome ?

Pour conclure

La définition du savoir-nager est impropre, les structures et les fonctionnements des nages et de l’élève sont incomplètes et inexactes, en conséquence les stratégies éducatives sont erronées.

Enfin, donnons la parole à A. FABRE (4). La pensée spéculative ne peut rejoindre la pensée rationnelle que par une conversion, c’est-à-dire un renversement du rapport sujet-objet par lequel le sujet, renonçant à imposer son point de vue, accepte de s’en remettre à la considération de l’objet.

C’est dans ce renversement du rapport entre maître et élèves que consiste la conversion qui fait passer l’éducateur de l’Ecole traditionnelle à l’Ecole active rationnelle et qui l’oblige à prendre l’attitude expérimentale.

 

Serge AUZON-CAPE, enseignant d’EPS à la retraite.

 

  1. PIAGET : les praxies

  2. (4) A. FABRE : la technique est l’expérience individuelle dépersonnalisée, transmise et capitalisée, une manière de faire séparée de ses raisons de faire, l’acte dépouillé de ses motifs. La technique, par sa rigidité, s’oppose ainsi directement au caractère novateur de l’activité individuelle d’adaptation. L’école active expérimentale, PUF.

  3. J. PAILLARD : L’acte moteur. Machine organisée, machine organisante. Itinéraire pour une psychophysiologie de l’action, ACTIO.

     

 

 

Travaux Pratiques

La pédagogie du mouvement

 

Vous êtes toujours un peu plus nombreux à être concernés par, voire impliqués dans la pédagogie de l’action.

Si vous avez retenu cette option c’est parce que la pratique vous en confirme l’intérêt et que parallèlement vous vous en êtes approprié les fondements scientifiques et philosophiques.

A l’opposé, la pédagogie du mouvement, non seulement survit mais continue à se propager.

Elle a sa logique et sa cohérence qui s’opposent aux principes, préceptes et règles de la pédagogie de l’action.

Les défenseurs (sans en être généralement conscients) de la pédagogie du mouvement vivent dans l’empirisme, adoptent une attitude subjective à travers la pensée spéculative et vivent donc très éloignés de l’attitude expérimentale, d’un retour réflexif sur l’action.

Deux professeurs agrégés d’EPS, qui ont la charge de former de futurs enseignants intervenant dans le domaine de la natation, tiennent un discours caractéristique de la pédagogie du mouvement. De ce fait, ils s’inscrivent à contrecourant de la pédagogie de l’action.

En référence aux règles de la pensée rationnelle, aux fondements qu’apportent les sciences de l’homme, à la logique, au constructivisme, voire à votre expérience d’enseignant

Enumérez une liste de vos divergences, (ce que vous réfutez à l’écoute des intervenants).

 

Vous pouvez adopter un pseudonyme, demander l’anonymat ou vous identifier.

Vous pouvez aussi défendre et partager le point de vue des intervenants. 

Par avance soyez remerciés.

raymond

 

 

Quelques sages prescriptions pour la construction du nageur débutant ou évolué

Suite aux questions de F.

 

Bonjour F.

Tout d’abord, je souhaite vous remercier pour ces questions pertinentes.

Est-il judicieux de faire travailler un seul élément sur une certaine période en début d’année ?

Il me semble important de situer le problème en fonction du niveau de construction du nageur. Si la construction du projectile concerne le débutant qui vient de construire le « corps flottant », il me semble souhaitable de n’envisager la propulsion que lorsque l’élève aura réalisé les entrées dans l’eau en plongeant, et en conservant sa posture jusqu’à la remontée en surface bras dans le prolongement du corps et tête sous les bras.

Si l’on envisage un nageur plus évolué, et cela semble être votre cas, on ne peut dissocier le « projectile » du « propulseur » l’exigence posturale concerne l’alignement, l’immersion et la relative indéformabilité du corps. Si vous travaillez, par exemple la diminution des « coups de bras », la diminution de la vitesse en fin de chaque cycle doit être compensée par une accélération plus intense pour maintenir la vitesse moyenne requise. C’est ainsi qu’à l’insu de l’entraineur un jeune nageur Italien est devenu champion du 200 libre des moins de 14 ans dans son pays. Vous pouvez imaginer alors « Un travail purement technique sur ce thème là et sur les quatre nages »

Y a-t-il un intérêt de passer du temps sur la propulsion si le niveau de construction précédent (ici le projectile et donc minimiser au maximum les freins) n’est pas totalement acquis ?

Il me semble important de distinguer l’exclusivité et la relativité. Mettre l’accent sur le projectile n’implique pas abandonner le propulseur.

Il faut effectivement « raison garder ». Lorsque la qualité de nage se dégrade, il semble superflu de poursuivre la séquence. Rechercher une quantité de qualité semble souhaitable.

« Nager moins pour nager mieux. » ? Vous semble-t-elle justifiée pour des jeunes ou même pour des nageurs élite ?

Comment ne pas partager cette sage prescription ?

 

Merci et bien cordialement. N’hésitez pas à questionner si ce qui précède ne vous aide pas.

raymond

 

 

Encore quelques sages prescriptions pour la construction du nageur

Suite aux questions de F.

 

? (La diminution du nombre de coups de bras est-elle un gage d’une meilleure performance.)

Joël de Rosnay nous invite à « s’élever pour mieux voir » = prendre du recul ; « relier pour mieux comprendre » = considérer l’interaction des éléments de l’ensemble ; « situer pour mieux agir » = bien situer l’élément sur lequel nous intervenons et en évaluer les conséquences.

Si un nageur parcourt une distance en battements seuls il réalise zéro coup de bras. En conclura-t-on qu’il est performant ?

De plus, ce genre de travail (diminution et/ou moins de coups de bras possible) est-il judicieux pour des nageurs jeunes (11- 13 ans) ?

Incontestablement OUI ! Encore faut-il que ce travail ne soit pas exclusif. Pour ma part et particulièrement en début de saison j’attacherais beaucoup d’importance à la régularité d’allure sur le 1500m. , le 800 chaque moitié étant parcourue dans le même temps. Vérifier les solutions ventilatoires adoptées !

l’inutilité de travailler avec les coups de bras pour des enfants… Qu’en pensez-vous ?

Que signifie « travailler les coups de bras » ? Quelles tâches ? Qu’entend-t-on par « enfants » ? Et à quel niveau de construction ?

De temps à autres pour les plus évolués, (tous les 2 mois) je les confronterais au « record du monde » (voir sur le site celui de Bruno Mazure).

La diminution du nombre de coups de bras est un indicateur du bon rapport entre les accélérations et les freinages à l’intérieur de chaque cycle de nage.

raymond

 

 

A propos de « MODELE THEORIQUE »

 

Sachant l’intérêt porté au développement de la natation et singulièrement à la construction du nageur performant, des amis ont eu la gentillesse de me communiquer un document fédéral récent émanant de son service Recherche destiné, par vocation, au plus grand nombre. Il est présenté sous forme de diaporama.

 

Une curiosité attisée par l’évocation des thèmes, la première lecture m’interpelle en plusieurs points et dans l’ensemble me déçoit.

Il me semble, en effet, que la recherche doit s’accommoder des règles de la pensée rationnelle dont la première consiste à définir ce dont on parle le plus exactement et le plus complètement possible.

Certes il peut y avoir des « définitions personnelles » lorsqu’un thème est inédit. La polysémie du terme « modèle » nous invite à interroger la sémantique.

Le Petit Robert nous propose un premier sens : « ce qui sert ou doit servir d’objet d’imitation pour faire ou reproduire quelque chose » il s’agit d’un objet sensible (accessible à nos sens) concret, immédiat, présent, voire présenté.

Le sens n° 7 « représentation simplifiée d’un processus, d’un système » va impliquer une activité mentale de quelque chose à construire qui n’est pas donné au départ, à imaginer, à se représenter, donc abstrait.

L’exemple le plus souvent cité pour évoquer la réalisation d’un modèle théorique est celui du passage du géocentrisme (la Terre au centre du monde) à l’héliocentrisme (la Terre devenant une planète du système solaire parmi les autres).

On doit à Kepler puis Copernic la construction du modèle théor
ique
(la Terre tourne sur son axe et autour du soleil) expliquant le concret, le visible : le Soleil tourne chaque jour autour de la Terre. Au-delà de l’alternance des jours et des nuits (le réel), il rend compte de la succession des saisons.

Il semble désormais nécessaire de distinguer modèle concret et modèle théorique. Le premier s’accommode de descriptions, le second exige une construction.

Le processus implique une construction faisant appel aux sciences de l’homme et à la biomécanique ; il doit en outre rendre compte du fonctionnement.

 

Le modèle présenté par le service Recherche de la FFN n’est pas un modèle théorique.

Il ne part pas de la fonction du plongeon de départ dans les épreuves de nage ventrale : dans le temps le plus réduit (à partir du signal de départ), pénétrer dans l’eau le plus loin possible selon un angle compatible avec le retour vers la surface et la reprise règlementaire de nage.

Cela implique la plus grande vitesse possible d’éjection (décollage) et d’arrivée au contact de l’eau

Le « modèle » proposé nous dit ce qui se fait par la majorité actuelle des meilleurs nageurs en ignorant les lois de la balistique, de la mécanique. Il n’échappe pas au concret, bien qu’il soit fictif, en tant que moyenne de ce qui est réalisé par l’échantillon. De plus le geste du nageur est largement conditionné par la structure du plot de départ récent et dont toutes les piscines ne sont pas équipées. Comment pousser efficacement de la jambe arrière sans la plaque ?

 

Le réel, nous dit Bachelard, n’est jamais ce que l’on croyait savoir mais ce que l’on aurait du penser. La première procédure de la pensée scientifique remplace la description par l’équation, la dénomination par le rapport, la qualité par la quantité.

Tout phénomène est un tissu de relations, toute substance est un complexe d’attributs.

 

Autre singularité s’inscrivant en faux par rapport à la démarche scientifique : Il appartient à l’entraineur de se construire un modèle théorique personnel. Imagine-t-on qu’il puisse y avoir autant de modèles théoriques du système solaire qu’il y a d’astronomes ?

C’est encore Piaget qui nous dit que le travail de formalisation est l’œuvre du théoricien mais la structure (qu’il met en évidence) est indépendante de lui.

Le modèle théorique est singulier et pour être validé, soumis à l’épreuve des faits !

Ce que nous cherchons à comprendre c’est le fonctionnement du nageur et à travers le modèle théorique qui en rend compte, la proposition d’une didactique répondant à la question : comment construire le nageur pour le rendre performant, avec des étapes qui sont autant de « passages obligés ».

Explicitement (diapo n° 5) l’auteur nous dit qu’elle alimente la réflexion avec des prestataires et des universitaires. Où se trouve donc la majorité des formateurs et entraineurs ?

Leur fonctionnement est pourtant à identifier et caractériser.

Pour F. Tochon, le discours théorique est un discours idéal et décontextualisé… la réflexion sur la pratique n’a rien d’un savoir universitaire. Ce dont on a besoin c’est d’une réflexion contextualisée en situation.

 

Si ces quelques lignes déclenchent chez nos lecteurs l’envie de participer à une analyse critique (dans le bon sens du terme) d’autres parties du document particulièrement contestables, nous poursuivrons la lecture armée de ce document. Nous souhaitons également et prioritairement qu’ils expriment leur point de vue.

raymond