A propos de « MODELE THEORIQUE »
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A propos de « MODELE THEORIQUE »
Sachant l’intérêt porté au développement de la natation et singulièrement à la construction du nageur performant, des amis ont eu la gentillesse de me communiquer un document fédéral récent émanant de son service Recherche destiné, par vocation, au plus grand nombre. Il est présenté sous forme de diaporama.
Une curiosité attisée par l’évocation des thèmes, la première lecture m’interpelle en plusieurs points et dans l’ensemble me déçoit.
Il me semble, en effet, que la recherche doit s’accommoder des règles de la pensée rationnelle dont la première consiste à définir ce dont on parle le plus exactement et le plus complètement possible.
Certes il peut y avoir des « définitions personnelles » lorsqu’un thème est inédit. La polysémie du terme « modèle » nous invite à interroger la sémantique.
Le Petit Robert nous propose un premier sens : « ce qui sert ou doit servir d’objet d’imitation pour faire ou reproduire quelque chose » il s’agit d’un objet sensible (accessible à nos sens) concret, immédiat, présent, voire présenté.
Le sens n° 7 « représentation simplifiée d’un processus, d’un système » va impliquer une activité mentale de quelque chose à construire qui n’est pas donné au départ, à imaginer, à se représenter, donc abstrait.
L’exemple le plus souvent cité pour évoquer la réalisation d’un modèle théorique est celui du passage du géocentrisme (la Terre au centre du monde) à l’héliocentrisme (la Terre devenant une planète du système solaire parmi les autres).
On doit à Kepler puis Copernic la construction du modèle théor
ique (la Terre tourne sur son axe et autour du soleil) expliquant le concret, le visible : le Soleil tourne chaque jour autour de la Terre. Au-delà de l’alternance des jours et des nuits (le réel), il rend compte de la succession des saisons.
Il semble désormais nécessaire de distinguer modèle concret et modèle théorique. Le premier s’accommode de descriptions, le second exige une construction.
Le processus implique une construction faisant appel aux sciences de l’homme et à la biomécanique ; il doit en outre rendre compte du fonctionnement.
Le modèle présenté par le service Recherche de la FFN n’est pas un modèle théorique.
Il ne part pas de la fonction du plongeon de départ dans les épreuves de nage ventrale : dans le temps le plus réduit (à partir du signal de départ), pénétrer dans l’eau le plus loin possible selon un angle compatible avec le retour vers la surface et la reprise règlementaire de nage.
Cela implique la plus grande vitesse possible d’éjection (décollage) et d’arrivée au contact de l’eau
Le « modèle » proposé nous dit ce qui se fait par la majorité actuelle des meilleurs nageurs en ignorant les lois de la balistique, de la mécanique. Il n’échappe pas au concret, bien qu’il soit fictif, en tant que moyenne de ce qui est réalisé par l’échantillon. De plus le geste du nageur est largement conditionné par la structure du plot de départ récent et dont toutes les piscines ne sont pas équipées. Comment pousser efficacement de la jambe arrière sans la plaque ?
Le réel, nous dit Bachelard, n’est jamais ce que l’on croyait savoir mais ce que l’on aurait du penser. La première procédure de la pensée scientifique remplace la description par l’équation, la dénomination par le rapport, la qualité par la quantité.
Tout phénomène est un tissu de relations, toute substance est un complexe d’attributs.
Autre singularité s’inscrivant en faux par rapport à la démarche scientifique : Il appartient à l’entraineur de se construire un modèle théorique personnel. Imagine-t-on qu’il puisse y avoir autant de modèles théoriques du système solaire qu’il y a d’astronomes ?
C’est encore Piaget qui nous dit que le travail de formalisation est l’œuvre du théoricien mais la structure (qu’il met en évidence) est indépendante de lui.
Le modèle théorique est singulier et pour être validé, soumis à l’épreuve des faits !
Ce que nous cherchons à comprendre c’est le fonctionnement du nageur et à travers le modèle théorique qui en rend compte, la proposition d’une didactique répondant à la question : comment construire le nageur pour le rendre performant, avec des étapes qui sont autant de « passages obligés ».
Explicitement (diapo n° 5) l’auteur nous dit qu’elle alimente la réflexion avec des prestataires et des universitaires. Où se trouve donc la majorité des formateurs et entraineurs ?
Leur fonctionnement est pourtant à identifier et caractériser.
Pour F. Tochon, le discours théorique est un discours idéal et décontextualisé… la réflexion sur la pratique n’a rien d’un savoir universitaire. Ce dont on a besoin c’est d’une réflexion contextualisée en situation.
Si ces quelques lignes déclenchent chez nos lecteurs l’envie de participer à une analyse critique (dans le bon sens du terme) d’autres parties du document particulièrement contestables, nous poursuivrons la lecture armée de ce document. Nous souhaitons également et prioritairement qu’ils expriment leur point de vue.
raymond
À la recherche d’une performance : la démarche, la natation et le cadre de la locomotion sur terre
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À la recherche d’une performance :
la démarche, la natation et le cadre de la locomotion sur terre
Suite à la question de BM:
Bonjour,
Nous nous sommes rencontrés lors du dernier séminaire à Dinard durant lequel j'étais stagiaire.
J'ai fait le choix de poursuivre ma formation cette année dans un autre domaine (celui de la préparation physique) et durant un séminaire portant sur l'amélioration de la foulée chez le sprinter j'ai été confronté à une situation que j'ai eu l'impression d'avoir déjà vécue.
En effet lors de ce séminaire, l'intervenant, entraîneur des coureurs de sprint d'un club d'athlétisme de renom à développé 6 paramètres autour desquels selon lui la foulée du sprinter s'organise (je cite) :
- le placement : organisation du corps au moment de l'appui
- le déplacement : déplacement du bassin sur l'appui
- le griffé : action du pied d'avant en arrière
- le travail du pied : capacité de rebond, création de force sur l'action du pied
- le caractère des tensions : fonctionnement pliométrique
- le rôle des membre libres : utilisation du balancier
Pour chacun de ces paramètres il nous était proposé différentes situations visant à faire progresser l'athlète sur tel ou tel aspect que l'on pourrait comparer aux dits "éducatifs" en natation.
Par exemple :
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pour améliorer le placement : effectuer différents types de "skipping " ;
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pour améliorer le déplacement : effectuer différentes foulées bondissantes ;
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pour améliorer le "griffé" : effectuer des déroulements plantaires ;
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pour améliorer le rôle des membres libres : supprimer ou amplifier l'utilisation des mouvements de bras pour, je cite, "permette à l'athlète de mieux ressentir le placement du bassin".
Et tous ces exercices de développements sont souvent visibles dans l'entraînement de haut niveau en sprint.
Je ne jette absolument pas la pierre à cet entraîneur qui je n'en doute pas à déjà dû faire progresser bon nombre d'athlètes, j'ai simplement l'impression de me retrouver face aux mêmes problématiques que nous pouvons retrouver sur le bord des bassins en natation: des problèmes pas véritablement identifiés auxquels on propose des situations qui, on croise les doigts, modifieront l'organisation de l'athlète.
J'aurais souhaité savoir si selon vous, la démarche que vous proposez en natation est utilisable dans cette discipline ?
Si oui quelle démarche puis-je avoir pour identifier les problèmes posé aux sprinteurs, et ainsi trouver des situations modifiant véritablement leurs manière de s'organiser?
Dans l'attente de vos réponses, veuillez pardonner toutefois les évidentes erreurs de langage, j'ai cherché à m'exprimer avec les mots qui me semblaient justes.
Cordialement,
BM
La manière dont nous pensons et celle dont nous nous exprimons sont intimement liées.
« Le désordre qui règne dans l'emploi que nous faisons du langage entraîne un désordre correspondant dans notre pensée, notre réflexion. Une pensée confuse ou incorrecte se répercute et se reflète dans nos modes d'expression, d'où une communication verbale entre individus incertaine ou déformée. »
Alfred Korzybski
Nous remercions très sincèrement notre ami BM de nous faire partager une réflexion à propos d’une « formation » complétant celle qu’il a vécue lors du dernier séminaire de Dinard.
Nous restons dans le domaine de l’activité sportive à la recherche d’une performance dans le cadre d’une locomotion sur terre : un parcours de sprint. L’intervenant propose de prendre en compte 6 paramètres constitutifs selon lui de la capacité à courir à la plus grande vitesse.
Avec pertinence et à partir d’un cadre de référence utilisé à Dinard, BM évoque des analogies dans les problématiques dans lesquelles les « problèmes abordés » ne sont pas clairement identifiés.
Immanquablement la pensée spéculative et l’idéologie (le monde imaginé de l’entraineur substitué à la réalité) vont conduire à des impasses.
Le thème du regroupement est formulé comme suit : « amélioration de la foulée chez le sprinter » deux questions émergent :
1) la foulée est-elle constante du départ à l’arrivée de l’épreuve ? Qu’en est-il des activités dites cycliques ?
2) sur quels aspects « mécaniques » ou biomécaniques portent les conditions d’améliorations possibles ?
Une référence à la haute performance devrait nous aider à clarifier le problème !
L’amplitude, la fréquence et la vitesse moyenne produite ne cesse de varier entre le départ et l’arrivée. Chaque « foulée » comporte une phase d’accélération suivie d’une perte de vitesse.
Si l’on considère l’organisation d’un cycle, d’une « foulée », il est classique de distinguer deux phases : celle où les membres sont en contact avec le sol (le posé) et celle pendant laquelle il n’y a plus contact (le levé). Chaque phase comporte une flexion des différents segments du membre inférieur les uns par rapport aux autres enchainée à leur extension.
L’impulsion « propulsive » ne devient possible que lorsque l’articulation de la hanche passera à la verticale de l’appui dans la seconde sous phase du posé.
Les didacticiens de la discipline analyseront la liaison entre la mise sous tension (évoquée par l’entraineur) des muscles extenseurs de la jambe sur la cuisse préalablement à leur extension lors du posé à la recherche du meilleur rendement. (Capacité de rebond) ! La gestion de la puissance des impulsions tout au long de l’épreuve sera certainement envisagée.
On notera avec intérêt que l’entraîneur a à sa manière évoqué l’organisation posturale en précisant « au moment de l’appui ».
La notion de « griffé » doit impérativement être clarifiée et située. Dans les années 50 des entraîneurs évoquaient déjà cette idée que le pied pouvait se porter d’avant en arrière dès le posé, ce qui est une impossibilité mécanique avant que la hanche ne soit passée à la verticale de l’appui.
N’ayant pas l’expérience de la pratique d’entraînement en athlétisme, je ne puis que souhaiter que les personnes compétentes nous apportent leur éclairage « instruit » en la matière.
Selon toute vraisemblance la démarche proposée en natation serait profitable au développement d’autres disciplines. L’attitude expérimentale s’imposerait pour progresser en connaissances.
raymond
L'entraîneur formateur, ou l'entraineur de demain
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L'entraîneur formateur, ou l'entraineur de demain
La construction d’un athlète est une opération artisanale qui confine presque à la production artistique. Des réflexions, des connaissances sont nécessaires à la construction et à la structuration des compétences « techniques, pédagogiques et didactiques» de l’entraîneur formateur, mais ces « connaissances et réflexions nécessaires » doivent en quelque sorte disparaitre, elles ne doivent jamais venir à la surface pendant le processus de construction de l’athlète.
Imaginez l’entraineur comme un chef qui met du sel parce que il sait qu'il y en a besoin. Ce n'est pas du hasard ou du pif, c'est le fruit de la structure qu'il a consolidé. Quand il cuisine il est un chef, il ne pense pas, il ne joue pas le chef! Il pourrait après te dire pourquoi il a choisi une chose ou l'autre ( pas avant ! ), mais quand il fait le choix c'est immédiat, c'est une action mentale complexe dont les éléments constituants se coordonnent de façon synthétique.
Une attitude non intellectualiste se révèle donc indispensable. Heureusement, il s'agit d'une situation privilège dans l'entrainement, une profession imprégnée par une matérialité qui est beaucoup plus cachée, ou presque absente, en d'autres métiers artistiques, pensez à la poésie ou à l'écriture.
Créer un nageur est beaucoup plus proche de la réalisation d'une peinture, d’une sculpture, avec la nécessité de choisir les matériaux et les mélanger soigneusement. Ou concevoir une voiture de course avec ses régulations complexes d'ingénierie. Mais c’est beaucoup plus riche et stimulant, parce que on travaille avec une matière qui interagit, qui évolue, qui se transforme en réaction aux manipulations du formateur. Le but ultime de l'œuvre d'art est l'autonomie ; elle doit accéder à la vie et doit prendre des significations indépendantes de l’artiste lui-même. Rien de plus beau, comme objectif, que conduire du matériau à ses meilleures potentialités expressives. Et aucun matériau ne donne plus de satisfaction ou de résultats que l'être humain avec sa personnalité qui est modelée et libérée, dans ses composantes motrices, affectives et cognitives, à la conquête de son propre et imprévisible espace dans la vie sociale.
Une conséquence directe de cet axiome est que la dimension fondamentale qui caractérise un artiste est la dimension culturelle, sa capacité à connaître les matériaux qu'il utilise et les lois qui en régissent les fonctionnements. Ce qui différencie l'artiste de l'artisan c’est la prise de conscience des fonctionnements, la capacité d'obtenir certaines réponses et résultats envisagés, non par simple reproduction empirique des procédures déjà adoptées par d'autres, mais à travers une connaissance profonde et exacte des processus. En fin de compte, on pourrait dire la capacité à innover.
Un degré supplémentaire de qualité est la capacité de s'éloigner de l'œuvre, de la rendre vivante, autonome, indépendante de celui qui l’a produite. La profondeur de la personnalité du maître, conséquence immédiate de son bagage culturel, à savoir dans ce cas, au sens très large, comme produit d'une dialectique féconde et continue entre expérience et réflexion, est un élément essentiel pour ne pas imposer de limites à la dimension évolutive de la personnalité de l'élève.
Alors, dans le cas de ceux qui travaillent dans le domaine sportif, les connaissances anatomiques, biomécaniques, psychologiques, pédagogiques, la connaissance des lois physiques des matériaux ou du substrat avec lesquels l'athlète interagit… et d'autres compétences encore, sont toutes au service du développement de l'individu. La composante liée à la motricité représente une seule des dimensions de la personnalité et, dans le cas de la pédagogie de l'activité physique, la voie privilégiée d'accès parce que celle-ci peut être stimulée, évoluer et devenir de plus en plus autonome.
Être mis en condition de se confronter à des problèmes ( tâches ) dans le domaine de la motricité et de les résoudre ( réussir ) constitue un parcours obligé pour le progrès de l’individu, mais c'est seulement la compétition, la confrontation à l'autre, qui ajoute de la dimension sociale et permet, à travers le jeu continu de l'attribution des rôles et de la recherche des statuts, une véritable redéfinition autonome de la personnalité qui va au-delà de la relation castratrice de l'entraîneur, quand celui-ci veut rester maître d'une œuvre qu'il croit inopinément sa propriété.
mauro
Stratégies et activités
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LEXIQUE – Stratégies et activités
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ACTION
un concept central de la pédagogie = sa définition selon Piaget : les actions (praxies) sont des systèmes de mouvements coordonnés en fonction d'un résultat ou d'une intention.
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ACTIVITÉ
L'activité, pour Leontiev (1984), se définit par son motif (qui incite le sujet à agir, ce que nous avons appelé mobile), par une action visant un but et par les opérations qui permettent d'atteindre ce but. Ce sont là trois dimensions indissociables de l'activité. Celle-ci peut être évaluée en termes de sens, c'est-à-dire du point de vue du rapport entre le but visé par le sujet et le motif qui l'incite à agir. Elle peut également être évaluée en termes d'efficacité de l'action (rapport entre les résultats atteints et les buts visés) et d'efficience de l'opération (c'est-à-dire du point de vue de l'économie des moyens mis en œuvre).
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MOUVEMENT
déplacement dans l'espace en fonction du temps par rapport à un système de référence. Les mouvements ne sont que les aspects visibles de l'action.
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OPTION
faculté d'opter, de choisir en toute connaissance de cause entre des choses inconciliables. L'option pédagogique détermine la nature (descriptive OU fonctionnelle) des contenus enseignés.
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STRATÉGIE
ensemble ordonné et coordonné d'actions, décidé à priori pour atteindre un objectif. Exemple : stratégie de la grande profondeur pour l'apprentissage en natation.
INTERVIEW DE JEAN PIAGET
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INTERVIEW DE JEAN PIAGET AU C'ENTRE D'EPISTEMOLOGIE DE GENEVE
"Je suis très honoré de parler à propos des expériences pédagogiques que vous allez voir, dues à Androla Enriquez, et qui sont une application de mes idées, mais application de mes idées, je n'ose guère en parler parce que je ne suis pas du tout pédagogue de profession et je n’ai pas d'idées personnelles dans le domaine de l'éducation, mais ce que j’aimerais dire c’est que les faits psychologiques ne permettent pas à la psychologie de l’enfant, telle que nous cherchons à la construire en elle même, ne nous permettent pas d'en tirer déductivement une pédagogie !
Je pense que le pédagogue doit au courant des faits psychologiques et que tous ces faits sont utiles a connaître pour lui, sont importants pour ce qu'il en tirera, mais je pense que c'est au pédagogue et à une pédagogie expérimentale particulière qu'il s'agit de savoir comment appliquer les faits psychologiques à la pédagogie; ça n’est pas au psychologue à le dire et on ne peut pas tirer, je le répète une pédagogie déductivement à partir des données psychologiques.
Autrement dit, je pense que les relations entre la psychologie et la pédagogie sont analogues aux relations entre la physiologie et la médecine: le médecin doit connaître la physiologie, s'il ne la connaît pas, il ne peut pas faire son métier, mais la physiologie ne suffit pas pour prescrire de thérapeutiques. Trouver des thérapeutiques est une tout autre chose que de connaître la physiologie, quand même cette connaissance est indispensable pour tout ce qui est du ressort des sciences médicales.
Et bien il est nécessaire, me semble-t-il, de fonder ou de développer une pédagogie expérimentale et qui étudiera dans un milieu scolaire, l'acquisition des connaissances par l’enfant, connaissances que nous savons, par ailleurs, en ayant étudié psychologiquement ce développement de 1’enfant.
Il paraît qu'il y a des pédagogies et bien des pédagogues, je ne suis pas au courant, mais on me l'a raconté, qui prétendent "faire du PIAGET" suivant la formule.
Cette formule m'effraie passablement, et dans les quelques cas que j'ai pu voir d'un peu près; je vois mal le rapport entre mes idées d'un coté et les applications qu'on en tire.
Pour nous donner un exemple qui est peut-être caricatural parce qu'il est extrême, mais enfin qui existe tout de même. Je sais que certains pédagogues dans un pays que je ne nommerai pas, ayant lu dans mes livres que tout vient de 1’action, et que les opérations mentales et toute l'intelligence naissent d’une intériorisation de l'action, parce qu'au début, l'intelligence est essentiellement sensori-motrice et procède de l'action sur les objets. Et bien, je sais que certains pédagogues ont eu l'idée lumineuse de ne pas offrir à 1’enfant les objets eux-mêmes mais pour lui faciliter la tâche de lui offrir des films, où l'on voit des actions qui se déroulent sur les objets sans que l'enfant ait rien a faire qu'à regarder ces films.
Bien, voyez la distorsion formidable qu'il y a entre faire appel à l'action de l‘enfant lui même et ses initiatives et ses tâtonnements et puis lui présenter un film où il n'a rien à faire qu'à regarder. Regarder ça mène à un verbalisme de l'image qui est tout aussi passif et aussi dangereux que le verbalisme du langage. L'enfant lui même doit inventer dans ses actions au contact avec des objets réels et pas avec des images.
Le problème c'est évidemment quel est le but de l'éducation? Est ce que c'est de faire des individus conformistes qui apprennent tout ce que les générations précédentes savaient et qui répètent tout ce qui est déjà acquis? Ou bien le but de l'éducation est de former des personnalités qui aient de l'initiative, qui soient novatrices sur un terrain quelconque, vaste ou très limité de leur profession, qui inventent quelque chose, au lieu de simplement de le répéter?
Est-ce que le but de l'éducation c'est donc apprendre, ou apprendre à inventer, apprendre des connaissances toutes faites, ou apprendre à inventer?
Et bien si j'en crois ce que nous avons vu en psychologie de l'enfant: apprendre ! Pour qu'il ait compréhension de ce qui est appris et non pas simplement répétition verbale au moment des examens, pour qu'il y ait réellement compréhension, apprendre, bien entendu, c'est toujours réinventer.
Et ce que je souhaite, c'est que dans le domaine scolaire le maximum soit fait pour les inventions et les initiatives de l'enfant, comme on le verra dans ce film à propos des expériences d'Androla sur le poids, par exemple. Paperte, un de nos collaborateurs du centre d’épistémologie a eu une fois ce mot heureux: «Toutes les fois que l'on apprend quelque chose à un enfant on l'empêche de l'inventer». Et c'est exact, et quand il a inventé quelque chose, bien entendu, ça reste beaucoup plus solide, comme connaissance ultérieure que la simple acquisition à partir d'un adulte qui vous donne une nourriture toute cuite. ça ne signifie pas bien sûr que l'éducateur adulte n'ait plus de rôle à jouer, et pour ma part, je ne vois pas du tout l'école comme une salle où les enfants feraient tout ce qu'ils voudraient avec n'importe quoi, sans qu'il y ait la moindre directive ou la moindre organisation.
Je pense que l'éducateur est indispensable pour soulever certains problèmes, l'enfant soulève lui même des problèmes, bien sûr, en face d'un matériel. Alors il y a à présenter des matériels qui amènent la curiosité, qui soulèvent des problèmes et par le canal de ce matériel en graduant les difficultés successives, amener à des solutions spontanées, et pour cela bien entendu un matériel préparé par l’éducateur, me paraît indispensable.
D'autre part quand l'enfant s'égare, notez que l'erreur, une erreur corrigée peut être souvent plus profitable qu'une réussite immédiate, suivant les cas, mais quand il y a erreur qui semble durer, un autre rôle, me semble-t-il, de l'éducateur dans une école réellement active, ce sera de fournir des contre-exemples, des expériences où il y aurait des solutions qui contredisent l'hypothèse précédente du sujet et qui mènent à d'autres solutions.
Je pense que d'autre part, très vite, l'enfant aura envie et besoin de lecture et là aussi il a besoin d'être guidé dans les lectures.
Bref, parler de l'école active, notez bien que «Ecole Active» est un mot dont on a tant abusé que l'on ne sait plus guère ce que c'est. Il y a tous les degrés d'activité mais, dans le sens où je souhaite qu'il y ait activité, c'est à dire initiative continuelle, activité continuelle du sujet, de l'enfant, et bien l'adulte est loin d'être inutile.
Mais j’aimerais faire une dernière remarque, c'est que, à coté de l'éducateur et de l'enfant qui est en face d'un matériel, d’un dispositif qu’il peut manipuler, travailler individuellement, il y a également le travail par le groupe qui me paraît essentiel – par des groupes qui se formeraient spontanément entre écoliers du même âge, de la même classe, groupes tels qu'il puisse y avoir recherche en commun de solutions d'un problème en face d'un même matériel mais tels qu'il puisse y avoir aussi critiques mutuelles, contradictions par l'un des membres du groupe de l'hypothèse d'un autre membre du groupe et partout où l’on a utilisé ces méthodes de travail par équipes, je pense à Roger COUSINET qui en faisant le centre de sa pédagogie, on a vu que ce travail collectif est utile, utile à ceux qui ont de la peine à comprendre, parce que le camarade qui a mieux compris se fait mieux comprendre qu’un adulte, mais utile surtout à ceux qui expliquent à des cadets ou à ceux qui ont moins bien compris parce que tous les professeurs le savent : c est en expliquant quelque chose qu'on finit par le comprendre soi-même.
Voilà les quelques remarques que je voulais faire à ce propos.
Je ne sais pas si vous avez d’autres questions?"
Jean Piaget: Psychologie et pédagogie
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Jean Piaget: Psychologie et pédagogie
Quelques extraits ( Psychologie et pédagogie, Gonthiers Denoël, 1969, coll. Médiations, Paris, p. 103 ) :
… Leur mise en pratique n'a pas fait de grands progrès parce que les méthodes actives sont d'un emploi beaucoup plus difficile que les méthodes réceptives courantes. D'une part, elles demandent au maître un travail bien plus différencié et bien plus attentif, tandis que donner des leçons est moins fatigant et correspond à une tendance beaucoup plus naturelle à l'adulte en général et à l’adulte pédagogue en particulier.
D'autre part et surtout, une pédagogie active suppose une formation beaucoup plus poussée et, sans une connaissance suffisante de la psychologie de l’enfant (et, pour les branches mathématiques et physiques, sans une connaissance assez forte des tendances contemporaines de ces disciplines), le maître comprend mal les démarches spontanées des élèves et ne parvient donc pas à mettre à profit ce qu'il considère comme insignifiant et comme une simple perte de temps.
Le drame de la pédagogie, comme d'ailleurs de la médecine et de bien d'autres branches tenant à la fois de l'art et de la science, est, en effet, que les meilleures méthodes sont les plus difficiles : on ne saurait utiliser une méthode socratique sans avoir acquis au préalable certaines des qualités de Socrate à commencer par un certain respect de l'intelligence en formation.
cliquer ici pour écouter l'INTERVIEW DE JEAN PIAGET AU C'ENTRE D'EPISTEMOLOGIE DE GENEVE.
LES METHODES NOUVELLES
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LES METHODES NOUVELLES
Comment définir les méthodes nouvelles d'éducation et à partir de quand dater leur apparition ? Eduquer, c'est adapter l'enfant au milieu social adulte, c'est-à-dire transformer la constitution psychobiologique de l'individu en fonction de l'ensemble des réalités collectives auxquelles la conscience commune attribue quelque valeur. Donc, deux termes dans la relation que constitue l'éducation : d'une part, l'individu en croissance ; de l'autre, les valeurs sociales, intellectuelles et morales auxquelles l'éducateur est chargé de l'initier. L'adulte, percevant le rapport selon sa perspective propre, a commencé par ne songer qu'a ces dernières et par concevoir l'éducation comme une simple transmission des valeurs collectives de génération en génération. Et, par ignorance ou à cause même de cette opposition entre l'état de nature, caractéristique de l'individu, et les normes de la socialisation, l'éducateur s'est préoccupé d'abord des fins de l'éducation plus que de sa technique, de l’homme fait plus que de l’enfant et des lois de son développement.
Ainsi a-t-il été conduit, implicitement ou explicitement à considérer l’enfant soit comme un petit homme à instruire, moraliser et identifier le plus rapidement possible à ses modèles adultes, soit comme le support de pêchés originels variés, c'est-a-dire comme une matière résistante qu'il s'agit de redresser plus encore que d'informer. De ce point de vue procède toujours la majeure partie de nos précédés pédagogiques. Il définit les méthodes « anciennes » ou « traditionnelles » d'éducation. Les méthodes nouvelles sont celles qui tiennent compte de la nature propre de l'enfant et font appel aux lois de la constitution psychologique de l'individu et à celles de son développement.
Passivité ou activité.
Encore faut-il s'entendre. La mémoire, l'obéissance passive, l'imitation de l'adulte et, d'une manière générale, les facteurs de réception sont aussi naturels à l'enfant que l'activité spontanée. Or, on ne saurait dire que les méthodes anciennes, si antipsychologiques soient-elles parfois, aient entièrement négligé l'observation de l'enfant, à cet égard. Entre les deux pédagogies, le critère est donc à chercher, non dans l'utilisation de tel ou tel trait de la mentalité puérile, mais dans la conception d'ensemble que l'éducateur, dans chaque cas, se fait de l'enfant.
L'enfance est-elle un mal nécessaire ou bien les caractères de la mentalité enfantine ont-ils une signification fonctionnelle définissant une activité vraie ? Suivant la réponse donnée à cette question fondamentale, le rapport entre la société adulte et l'enfant à éduquer sera conçu comme unilatéral ou comme réciproque. Dans le premier cas, l'enfant est appelé à recevoir du dehors les produits tout élaborés du savoir et de la moralité adultes ; la relation éducative est faite de pression d'une part, de réception de l'autre. D'un tel point de vue, les travaux d'élèves, même les plus individuels (rédiger une composition, faire une version, résoudre un problème) participent moins de l'activité réelle de la recherche spontanée et personnelle que de l'exercice imposé ou de la copie d'un modèle extérieur ; la morale la plus intime de l'élève reste plus pénétrée d'obéissance que d'autonomie. Dans la mesure au contraire où l'enfance est considérée comme douée d'une activité véritable et ou le développement de l'esprit est compris dans son dynamisme, le rapport entre les sujets à éduquer et la société devient réciproque : l'enfant tend a se rapprocher de l'état d'homme non plus en recevant toutes préparées la raison et les règles de l'action bonne, mais en les conquérant par son effort et son expérience personnels ; en retour, la société attend des nouvelles générations mieux qu'une imitation : un enrichissement.
Psychologie et pédagogie, Gonthiers Denoël, 1969, coll. Médiations, Paris, pp. 199-201.
cliquer ici pour écouter l'INTERVIEW DE JEAN PIAGET AU C'ENTRE D'EPISTEMOLOGIE DE GENEVE.